четверг, 16 июля 2020 г.

Meïra Barer, la miraculée de la rafle du Vél’ d’Hiv

Le petit appartement de Kiryat Shmuel, bordé à l’extérieur par les pierres ocre de Jérusalem, est peuplé de photos des enfants, des petits-enfants. Les siens et ceux de son – troisième – mari et pilier, Nathan. Il y a aussi une guitare, une assiette art déco florale, un portrait du Rabbi de Loubavitch, une reproduction d’un tableau de Fernand Léger et tout un tas de bibelots brocantés. Encadrée, trône en bonne place la Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël. Un document original acheté à un antiquaire spécialisé parisien. En contrebas de son balcon, un amandier majestueux qui a perdu ses fleurs sans perdre de sa superbe. Et une vue imprenable sur la Knesset, le Parlement de l’État hébreu.

Meïra Barer est une jeune femme aux boucles blondes de presque 79 ans. De plateau radio de dernière minute en conférence littéraire et rendez-vous de fin d’année avec son club de théâtre, elle savoure une vie « normale ». Seules la chaleur hiérosolymitaine et la crise sanitaire parviennent à engourdir l’agenda de l’écrivaine. Elle, « la petite porteuse de pain » de la boulangerie familiale connue de tous les gérants des cabarets de Montmartre, la « grande chineuse » des Puces de Saint-Ouen, l’enfant caché, miraculée de la rafle du Vél’ d’Hiv qui a hurlé si fort et si longtemps ce 16 juillet 1942 qu’un policier excédé a prié sa mère de partir et de ne plus revenir.

L’autobiographie dense, limpide et poignante d’une enfant cachée

Les contours bigarrés de cette vie hors norme ont été consignés dans une autobiographie, Comme un tison sauvé du feu (éditions Les 3 Colonnes), à la fois dense et limpide, poignante et jamais larmoyante. Un travail de dix années a été nécessaire à l’autrice pour que ce manuscrit de 200 pages parsemé de déclaration d’amour aux absents, de clichés en noir et blanc des disparus et des vivants et des chroniques de son blog hébergé par le journal en ligne The Times of Israel voit le jour. L’été dernier. Depuis, le livre est « en confinement ». « Il va bien falloir que je m’y replonge, je vais assister dans les jours qui viennent à une commission de lecture pour l’attribution du prix Wizo*. Mon livre est sélectionné dans la catégorie des auteurs francophones vivant en Israël. »

Dans ma boîte à outils de vie, j’avais ce credo : "Ils ne m’auront pas."

enfant cachée, Occupation, © Collection particulièreenfant cachée, Occupation, © Collection particulière
Meïra Barer à l’âge de 1 an et demi. Elle s’appelle alors Monique Suzanne Bursztejn.
© Collection particulière

Mais Meïra Barer, née Monique Suzanne Bursztejn le 31 octobre 1941 à Paris, de parents juifs polonais, est surtout exaltée par son « nouveau combat ». Transformer la date anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv en anniversaire de vie. « Dans ma boîte à outils de vie, j’avais ce credo : "Ils ne m’auront pas." Et ils ne m’ont pas eu. Je suis bien vivante. Je suis en Israël. Être juif, ce n’est pas être une victime. Comme les autres enfants cachés, je me suis battue pour mon identité. » Alors, elle veut enfoncer les portes des lycées et des collèges de France et d’Israël, où « ce qu’ont vécu les juifs lors de la rafle du Vél’ d’Hiv est peu connu », transmettre encore et encore parce qu’elle fait « partie des derniers ».

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Nul doute qu’elle y parviendra, car les combats, ça la connaît. D’abord, celui de la survie face au manque d’amour. Les familles de l’Oise et de l’Yonne chez qui elle est réfugiée entre 1942 et 1945 sont un havre de paix, mais si froid que la fillette se réconforte dans la niche auprès d’un chien maternel. Et comme le destin est parfois têtu, c’est l’aridité d’une mère biologique « dépassée, épuisée jusqu’aux tréfonds de son âme par les malheurs qui l’ont frappée pendant la Shoah » à laquelle elle fait face à son retour. Si bien que le prénom « Monique » disparaît du vocabulaire de cette fourreuse qui travaille dur pour faire bouillir la marmite. Monique, devenue Meïra (de l’étymologie hébraïque « or », la lumière, NDLR) la lumineuse, se console. « Ma mère AIME mes enfants […] C’est tout de même bien un peu parce que ce sont les miens… »

déportation, 1942, juif, © Collection particulièredéportation, 1942, juif, © Collection particulière
Acte de déportation d’Avraham Mordehaï Bursztejn, le père de Meïra, qui fera partie du convoi du 22 juillet 1942.
© Collection particulière
Préfecture de police, internement, juif, Occupation, 1941, © Collection particulièrePréfecture de police, internement, juif, Occupation, 1941, © Collection particulière
« En surnombre dans l’économie nationale » : motif d’internement délivré par la Préfecture de police en mai 1941 à l’encontre d’Avraham Mordehaï Bursztejn, le père de Meïra.
© Collection particulière

Contre l’oubli, elle part à la recherche de son père, qui n’est jamais revenu des camps de la mort en embarquant dans le train de la Mémoire, Drancy-Auschwitz 1942-1992 événement organisé par les Fils et les Filles de déportés, cinquante ans après la Shoah ; en se plongeant dans les Archives nationales, en s’investissant auprès d’associations et de groupes de parole. Et elle se rend vite compte que parmi les anciens enfants cachés, elle est l’une des seules à « avoir entrepris un travail », une psychanalyse. « Bien sûr, comme tous les autres, je n’avais rien pu dévoiler à mes enfants de ce que j’avais vécu. Mais, au moins, j’avais parlé. Dans un de ces groupes de parole, un jour, j’ai même croisé mon psy ! Lui aussi était un enfant caché et même si je m’en doutais, je n’en étais pas sûre ! »

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Le père et la mère de Meïra Barer, Avraham Mordehaï Bursztejn et Brana Szwarcbart, tous deux de nationalité polonaise, ont émigré en France. Le père de Meïra ainsi que ses beaux-parents maternels et une partie de sa famille ont péri dans les camps de la mort.
© Collection particulière

Mais la trajectoire de Meïra Barer est aussi celle d’une « rebelle qui dérange », une féministe sans le drapeau. « Toi, tu es une fille, ce n’est pas la même chose, tu n’as pas besoin de faire des études, tu vas travailler avec nous. » Elle devait rentrer en quatrième. Contrainte d’arrêter ses études pour donner la main à sa mère au sein de la boulangerie familiale, elle se venge en se noyant dans les livres. « Quand je n’ai rien à faire, je ne grignote pas. J’engloutis… des bouquins […] Tout y passe. Zola, Stendhal, Flaubert, Troyat et Dostoïevski, Colette… » Elle arrache le droit de prendre des cours de sténo-dactylo et c’est dans un exemplaire de Marie Claire qu’elle entrevoit le bout du tunnel, la fin de l’« enfer de la boulangerie ».

1960. Elle quitte Paris pour Londres et devient jeune fille au pair. Le début de la liberté. Viendra ensuite celle de conquérir la maternité, de s’octroyer le droit de divorcer une première fois, de se faire un nom parmi les antiquaires de la place de Paris.

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Et, en 1995, « à un âge où la majorité des gens pensent à leur retraite », elle redémarre. Elle organise son alya, sa « montée en Israël ». Seule, sans ses enfants qui, adultes, font leur vie en France, sans économies et avec la perspective que Joe, l’homme avec lequel elle a eu son deuxième enfant et avec lequel elle partage sa vie depuis plus de vingt ans, « va repartir très vite ». Mais elle fonce.

Je suis consciente de ce que le retournement de mon sort a d’inouï.

À presque 55 ans, elle trouve du travail, une colocation : « Ce sont là des choses possibles en Israël. » Surtout, elle renoue avec ses origines. Shabat, fêtes, étude. Elle apprend à vivre un judaïsme heureux : « Moi, fille de déportée, enfant cachée n’ayant connu que les fêtes chrétiennes et complètement ignorante des pratiques du judaïsme, je suis consciente de ce que le retournement de mon sort a d’inouï. » Et elle ajoute un peu plus loin : « C’est l’étude de la Torah qui me permet de vraiment comprendre le pourquoi de ma présence ici : je ne suis pas venue ici, j’y suis revenue. » Elle emmagasine les cours de Kabbale, de Hassidout Habad : « Concrètement, il s’agit de grandir, de se renforcer et d’apprendre à ne pas répéter perpétuellement les mêmes erreurs : on peut changer à tout âge. »

Chacun trimbalant son paquet, paquets d’histoires, paquet d’Histoire, d’abandons, persécutions, errance, destruction…

Dans un poème, elle confie : « Ici […], je suis réaccordée […] chacun trimbalant son paquet, paquets d’histoires, paquet d’Histoire, d’abandons, persécutions, errance, destruction […] Mon peuple avec sa faiblesse et ses doutes […], sa si furieuse envie de vivre. »

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À l’étude, Meïra associe l’action. Le bénévolat dans l’aide aux nouveaux immigrants, au soutien aux victimes du terrorisme.

Aujourd’hui, elle continue de commenter beaucoup l’actualité sur les réseaux sociaux, est encartée politiquement. Elle regarde toujours devant. Avant l’épidémie, elle sillonnait les rues de Jérusalem à pied avec Nathan, son « pilier » depuis dix-sept ans, visitait les sites historiques. « Je n’ai pas mal vécu l’enfermement pendant le confinement. Avec Nathan, on a les clés qui donnent sur le toit de notre immeuble, on allait y faire un peu d’exercice. Le plus dur, c’est maintenant finalement. Il y a des crises d’angoisse, celle de la mort. Pour la première fois, je pense à m’occuper d’une place au cimetière. » Mais tant que son amandier fleurira… « Il symbolise la vie. Un hiver, les routes étaient gelées, je me suis cassé la cheville, et le même jour, l’amandier aussi. »

© éditions Les 3 Colonnes/SP

Comme un tison sauvé du feu, de Meïra Barer (éditions Les 3 Colonnes, 202 p., 17 euros).

* Wizo : mouvement apolitique international engagé dans l’action sociale au service des femmes et des enfants en Israël.

Source: lepoint.fr

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