понедельник, 15 июня 2020 г.

EXCLUSIF. Affaire Lamine Dieng : la France va verser 145 000 euros à la famille

C’est un dénouement extraordinaire pour une procédure hors du commun qui aura duré treize ans. Treize années durant lesquelles la famille de Lamine Dieng, mort à 25 ans dans un fourgon de police en juin 2007, n’a jamais renoncé à rechercher la vérité. Après un non-lieu en faveur des forces de l’ordre, confirmé par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, puis par la Cour de cassation, la famille avait fini, dix ans après le drame, par saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Fin 2019, cette dernière a proposé une médiation, que l’État a acceptée. La France va donc verser 145 000 euros d’indemnités aux plaignants, peut-on lire dans une décision rendue le 4 juin, et passée totalement inaperçue. La médiation est une procédure nouvelle devant la CEDH et reste peu utilisée. La famille de Lamine Dieng n’en a accepté le principe que parce que la décision, contrairement à une transaction, est rendue publique.

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« Même s’il n’y a pas eu de condamnation de la France et si l’accord met fin à toute poursuite, c’est une belle conclusion judiciaire. C’est enfin la reconnaissance par l’État de sa culpabilité, et on rend à Lamine sa qualité de victime », confirme Me Nathalie Zoromé, l’avocate historique de la famille.

La plainte avait été originellement déposée sur la base de l’article 6 de la CEDH et le droit à un procès équitable, la famille estimant que les magistrats français leur avaient constamment, pendant dix ans, opposé un déni de justice, refusant de prendre en considération certaines pièces du dossier accablantes pour les policiers. Mais les juges de Strasbourg ont finalement décidé d’examiner la situation sous le prisme des articles 2 et 3 de la Convention, sur le droit à la vie et l’interdiction de la torture.

L’autre affaire Adama Traoré

Dès 2007, après la mort du jeune homme de 25 ans, des manifestations avaient eu lieu à Paris et dans plusieurs villes de France, mais de manière aucunement semblable aux rassemblements qui se déroulent chaque semaine en France depuis la mort de l’Américain George Floyd. « En 2007, les mentalités n’étaient peut-être pas encore prêtes pour ce combat », confie Me Zoromé. « C’est désormais le cas », précise Ramata Dieng, sœur de Lamine.

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La manifestation organisée devant le palais de justice de Paris, et ayant regroupé au moins 20 000 personnes à l’initiative du comité de soutien d’Adama Traoré, mort en 2016 à la suite de son interpellation par des gendarmes, montre que la question est plus que jamais dans le débat public. « On sent qu’il se passe quelque chose, du moins je l’espère, ajoute Ramata Dieng. Nous voulons montrer que les policiers sont des humains, et que, comme tout humain, ils sont faillibles et corruptibles. Nous réclamons un organe autonome et indépendant qui puisse contrôler l’action des forces de l’ordre. »

Lamine Dieng, un symbole

Ces derniers jours, aux côtés d’Adama Traoré, Lamine Dieng était ainsi devenu l’autre nom que les manifestants brandissaient sur leurs pancartes. Les similitudes entre les deux affaires sont nombreuses : l’âge des deux hommes lors de leur mort – 25 et 24 ans –, des expertises et contre-expertises contradictoires, des soupçons d’asphyxie et de violences.

Lamine Dieng est interpellé par la police en pleine nuit, le 17 juin 2007, dans le quartier de Belleville, dans le 20e arrondissement de Paris, devant un hôtel non loin de son domicile. Les agents disent avoir été appelés par des voisins se plaignant de cris et d’un tapage nocturne. Arrivés sur le terrain, les policiers affirment trouver le jeune homme en état de « démence », caché dans la rue sous une voiture, « agressif, voire violent ».

Une ceinture de contention

Lamine mourra mystérieusement quelques minutes plus tard dans le véhicule des forces de l’ordre. La famille ne sera prévenue que 36 heures après les faits, alors qu’une autopsie a déjà été ordonnée. Comme dans l’affaire Traoré et sans attendre les conclusions de l’enquête, le parquet communique et estime que la force strictement nécessaire a été utilisée. « Les policiers ont été contraints de maîtriser la personne dans un état important d’excitation en l’entravant aux bras avec les menottes et aux jambes avec une ceinture de contention. Après avoir été porté dans le fourgon de police, l’individu perdait soudainement connaissance », conclura, quant à elle, l’Inspection générale des services (IGS, ancêtre de l’IGPN).

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Des assertions extrêmement contestées : « Quand l’IGS nous appelle, elle parle d’un accident sur la voie publique. […] Lamine avait une moto et on pense alors à un accident de moto », relate la sœur de Lamine, Ramata Dieng, invitée d’Africa Radio. Mais la « police des polices » convoque la famille pour lui expliquer qu’en réalité Lamine est mort pendant une intervention policière. Les « bœufs-carottes » parlent du jeune homme comme d’un « forcené », racontent qu’ils auraient eu énormément de mal à le maîtriser – Lamine mesure 1,86 m pour 90 kilos – et qu’il aurait blessé une femme, décrite comme sa compagne, peu de temps avant l’arrestation.

Plainte de la famille

Au même moment, le procureur enchaîne les imprécisions dans la presse et affirme que le jeune homme a fait un malaise cardiaque : « L’autopsie n’a pas fait apparaître de traces de coup. » Le décès s’explique probablement par une « consommation excessive de cocaïne et de cannabis », apprend-on. La famille dépose une plainte et dresse la liste de nombreux dysfonctionnements ou d’omissions. Que s’est-il véritablement passé dans la rue et à l’intérieur du fourgon ? Que nous cache-t-on ?

Car, quelques mois plus tard, une contre-expertise est réalisée, laquelle impute la mort du jeune homme à « une asphyxie rapide, due à une régurgitation alimentaire, accélérée par des troubles respiratoires liés à la prise de produits stupéfiants, le mécanisme de l’asphyxie étant l’appui facial du défunt contre le sol ». La presse, qui s’est déjà désintéressée du sujet, n’en fait que peu état. L’expertise dresse pourtant la liste des ecchymoses retrouvées sur le corps de Lamine Dieng. Des traces qui s’expliquent par les « circonstances de l’interpellation », répondent les juges. Insuffisant, selon eux, pour renvoyer devant la justice les policiers.

Même si le décès pourrait être « imputable à l’action conjuguée des policiers qui l’ont maintenu au sol et à la prise de stupéfiants, le caractère vraisemblable du lien de causalité entre un fait et la survenance du décès n’est pas suffisant pour poursuivre la personne à l’origine du fait », écrit la cour d’appel. En clair : selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il faut être sûr et certain que l’action des policiers a entraîné la mort pour pouvoir les poursuivre. Le doute devant profiter à l’accusé, voilà les policiers blanchis.

300 kilos sur le corps ?

De nombreux éléments n’ont pas été pris en compte, clame Ramata Dieng. Ainsi Lamine, au début de son interpellation, était-il véhément, n’hésitant pas à insulter les policiers, avant, une fois plaqué au sol, de ne plus être en capacité de parler. Ses propos deviennent incompréhensibles, reconnaîtra lui-même un agent de police. L’interpellation est si agitée que, dans des circonstances indéterminées, la ceinture de contention, qui a été installée sur les chevilles du jeune homme pour l’immobiliser, se retrouve cassée.

Une policière raconte ainsi s’être rendue au commissariat, à quelques dizaines de mètres de la scène, pour y récupérer une deuxième sangle, assure Ramata. Pendant ce temps-là, le jeune homme est placé dans le fourgon. Selon la sœur de Lamine, qui affirme avoir recoupé les auditions des policiers, ils sont au moins quatre, cette nuit-là, à s’être assis sur lui, faisant porter sur son corps un poids – plus de 300 kilos – qu’il ne pouvait pas supporter.

Menotté un bras dans le dos, l’autre au-dessus de l’épaule

« Les policiers ont été entendus deux fois chacun et racontent avoir eu du mal à sortir les bras du dessous du corps de Lamine », précise Ramata. Le jeune homme se serait retrouvé allongé dans le fourgon face contre terre, en décubitus ventral, pendant au moins cinq minutes, « les bras menottés dans le dos, dont l’un passé par-dessus l’épaule ». Une position extrêmement dangereuse, mais l’argument n’est pas entendu par les juges. Lamine Dieng a été menotté « de manière adéquate », écrivent-ils.

« Ce sont les policiers eux-mêmes qui racontent n’avoir pas pu faire autrement que de passer un bras par-dessus l’épaule, rétorque Ramata. Et c’est toujours eux qui racontent comment ils se sont positionnés, comment ils ont ramené ses jambes au niveau de ses fesses avant de s’asseoir dessus. Un autre policier s’agenouillera sur le bassin, un autre sur l’épaule droite et un autre sur l’épaule gauche. »

Une pseudo-reconstitution

La famille réclame une reconstitution, qu’on lui refuse. Mais les gestes sont toutefois mimés, un jour, dans le cabinet du juge d’instruction, à l’occasion d’une confrontation avec les policiers. Quatre chaises sont disposées comme s’il s’agissait de voitures. Le greffier sert de cobaye. Sauf qu’au moment de le menotter, en passant une main par-dessus l’épaule, comme il l’avait fait avec Lamine Dieng, le policier n’y parvient pas et renonce, de peur de blesser le greffier. « C’est bien la preuve que le geste est dangereux, mais le juge n’a pas souhaité en tenir compte », peste Ramata Dieng.

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Malgré ces éléments, la Cour de cassation confirme le non-lieu en 2017, estimant, elle aussi, que l’usage de la force a été « raisonné et proportionné » à l’agressivité de Lamine Dieng et qu’il n’est « pas caractérisé de faute de la part des services de police ». « Sur la non-assistance à personne en péril, les policiers ont immédiatement porté secours à Lamine lorsqu’ils ont constaté qu’il faisait un arrêt cardiaque », concluent les hauts magistrats français. Treize ans après les faits, les 145 000 euros que l’État a accepté de verser à la famille Dieng sonnent donc comme la fin d’un marathon procédural et d’une instruction qui aura duré sept ans. « À un moment donné, avec les années qui passent, notre dossier n’était plus prioritaire », dit Ramata.

« Quand on a reçu la proposition de la CEDH, la première question que nous nous sommes posée : est-ce que c’est un aveu de culpabilité ? Est-ce qu’on pourra communiquer dessus ? Dès lors qu’on nous a dit oui, on s’est dit qu’on n’obtiendrait pas de meilleure décision. C’est une reconnaissance de la responsabilité de la France. Des agents de police n’ont pas respecté la vie de Lamine et lui ont infligé un traitement inhumain. Et, surtout, on nous a refusé un procès. »

Source: lepoint.fr

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