C’est l’essai féministe par qui le scandale est arrivé. Celui qu’un chargé de mission rattaché au ministère de l’Égalité femmes-hommes a tenté de faire retirer de la vente, pour crime de « misandrie » – sans pour autant avoir lu cet essai bref et tonique qui déconstruit non sans humour les rôles assignés aux femmes. Derrière ce titre volontairement provocateur, une « micromaison d’édition » fondée par un couple d’écrivains, Coline Pierré et Martin Page. Ils nous racontent leur projet.
Le Point : « L’accusation de misandrie est un mécanisme de silenciation : une façon de faire taire la colère, parfois violente mais toujours légitime, des opprimées envers leurs oppresseurs », écrit Pauline Harmange dans Moi, les hommes, je les déteste. Ironiquement, l’affaire semble à la fois lui donner raison, mais aussi montrer les limites des mécanismes de silenciation, non ?
Coline Pierré et Martin Page : L’affaire a en effet montré toute l’ironie de cette volonté de censure. C’est l’effet Streisand : en cherchant à faire taire quelqu’un, on lui donne paradoxalement de la visibilité. Je pense que cette histoire montre bien qu’on ne peut pas réduire la colère au silence, elle est plus forte que les tentatives d’intimidation. Et surtout, ce genre d’histoire renforce fondamentalement la colère en lui donnant un objet supplémentaire, ça ancre encore davantage sa légitimité. Mais cela n’évite pas les tentatives et les volontés de silenciation. Et dans des cas moins favorables, où le rapport de force est différent, ça fonctionne mieux. Ici, il y a eu les réseaux sociaux, il y a eu de nombreux soutiens, individuels et institutionnels, qui nous ont donné beaucoup d’assise et de confiance, mais, au départ, quand on était tous les deux seuls face à cette menace, on n’en menait pas large.
Vous avez lancé un appel pour qu’une plus grande maison d’édition reprenne le texte. Pourquoi ? L’avez-vous trouvée ?
Plus de 2 500 exemplaires ont été vendus, pour un livre sorti il y a deux semaines. Comme nous sommes bénévoles et faisons les colis à la main, que nous n’avons pas de distributeur, nous ne pouvons pas assurer la logistique pour de tels chiffres. Faire appel à une plus grande maison, c’est donc, pour nous, pouvoir retourner à notre métier d’écrivain (et plus d’empaqueteurs de livre) et surtout permettre au livre de Pauline une visibilité, une diffusion et une distribution en librairie à la hauteur de la demande ! On a reçu plusieurs propositions de maisons d’édition, on en attend encore d’autres, et on fera notre choix collectivement (Pauline, nous et notre agente) dans les jours qui viennent, selon ce qui correspond le mieux au livre.
Ce sera la deuxième fois qu’un de vos textes sera repris par une autre maison, après Au-delà de la pénétration, au Nouvel Attila. Voyez-vous Monstrograph comme une possible rampe de lancement pour des textes face auxquels des éditeurs traditionnels pourraient se montrer frileux de prime abord ?
Et aussi Petite encyclopédie des introvertis qui va ressortir (dans une version assez différente) au Rouergue jeunesse en 2021 (il devait sortir en 2020, mais a été retardé à cause du confinement). Et on discute avec des éditeurs pour une reprise du livre de Lou Sarabadzic : Poétique réjouissante du lubrifiant. On voit absolument Monstrograph comme un laboratoire, une manière de tester des idées à petit tirage et à moindres frais, tenter de faire publier des textes qui auraient du mal à trouver leur place chez les éditeurs. S’ils se vendent peu, on les garde en catalogue, et c’est parfait, on est une structure tout à fait adaptée pour permettre de faire vivre des livres confidentiels sur le long terme (ce que ne pourrait pas forcément une maison d’édition ayant plus de frais de fonctionnement). S’ils ont du succès, on fait en sorte de leur trouver une famille d’accueil plus adaptée à leurs besoins ! Mais notre vrai rêve, c’est que Monstrograph soit racheté par une maison d’édition (ceci est un appel, chers éditeurs et éditrices !) et qu’on devienne les directeurs de collection de ce qui serait alors le label ou la collection Monstrograph. Ça nous éviterait toutes les contraintes administratives et logistiques dont on se passerait volontiers, ce serait parfait.
Monstrograph est, selon vos termes, une « micromaison d’édition » que vous gérez à deux. Comment définiriez-vous l’esprit des textes que vous y accueillez ?
On cherche à publier des textes iconoclastes, forts, engagés, personnels, sur des sujets inattendus ou rarement traités. On aime qu’il y ait un mélange d’intime et de politique, que ce soit des « essais d’écrivaines », qui partent d’une expérience personnelle, qui s’autorisent la poésie, l’excès et la subjectivité. Nous avons fondé Monstrograph au départ pour y publier des livres dont nous savions qu’ils n’avaient pas leur place dans le circuit d’édition tradition, notamment des livres écrits et dessinés à la main (Tu vas rater ta vie et personne ne t’aimera jamais, Petite encyclopédie des introvertis et N’essayez pas de changer : le monde restera toujours votre ennemi).
Très vite, nous avons eu envie d’y publier des livres « avec du texte ». On a commencé par reprendre De la pluie de Martin Page, dont Martin venait de récupérer les droits, puis par publier un collectif sur la création (Les artistes ont-ils vraiment besoin de manger ?), et cela nous a donné l’envie de commencer une collection de petits essais courts et iconoclastes. On en a chacun écrit un (Éloge des fins heureuses pour Coline et Au-delà de la pénétration pour Martin) et on s’est dit qu’il était temps de proposer à d’autres auteurs et autrices d’en écrire. En fait, on avance progressivement et prudemment, on fait des expériences et, petit à petit, on grandit (pas en taille !), on essaie des choses nouvelles.
Quel est votre modèle économique ?
Nous sommes une association, donc on a peu de frais, on n’est pas distribués, on fait les colis nous-mêmes, on est tous les deux bénévoles. C’est un format qui fonctionne à petite échelle, mais qui nous prend beaucoup trop de temps dès que nous avons un succès ! Quand nous écrivons des livres pour Monstrograph, tout l’argent entre dans les caisses de l’association pour permettre de faire de nouveaux livres, et de payer les auteurs et autrices que nous éditions. On vend surtout nos livres sur notre site, mais on travaille aussi avec quelques libraires suffisamment engagés pour qu’ils nous suivent ! Comme on est aussi (et surtout) auteurs, on essaie d’avoir des contrats et des conditions les plus justes possible pour les auteurs.
Source: lepoint.fr
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