четверг, 3 сентября 2020 г.

Il dessine le procès des attentats pour « Charlie Hebdo »

François Boucq (« Boucq »), Grand Prix du Festival d’Angoulême en 1998, n’est pas un inconnu pour les lecteurs historiques du Point, où il livra son premier dessin de presse à 19 ans, en 1974. Ce dessinateur virtuose, maître de l’absurde et de la dérision, a été chargé par Charlie Hebdo de couvrir le procès historique des attentats de janvier 2015, en tandem avec l’écrivain Yannick Haenel pour les textes.

Dès la fin du procès, Charlie Hebdo fera paraître un livre qui reflétera cette collaboration de deux mois. Alors que Yannick Haenel s’affaire sur son ordinateur, François Boucq nous dévoile les planches réalisées à l’issue de la première journée d’audience, une alternance de croquis suggestifs et d’aquarelles délicates où défilent des robes noires et des visages fermés et d’où se dégage une tension perceptible. En exclusivité, il revient pour Le Point sur un procès qui met aussi en exergue le pouvoir du dessin.

Le Point : Quel est votre état d’esprit après cette première journée d’audience ?

Boucq : Ma première pensée a été de me dire : cela va durer deux mois, et il va donc falloir entretenir l’intérêt pour un public qui ne suivra pas en direct le procès. Nous devrons fournir chaque jour avec Yannick [Haenel] des dessins et des textes qui seront mis en ligne sur le site de Charlie Hebdo. Un procès est par définition statique, et ce que je vais rendre au public, ce sont mes impressions de dessinateur qui seront visibles – à défaut des visages – à travers des attitudes, des pauses, des expressions, en alternant des panoramiques ou des gros plans. Le dessinateur est en contradiction avec la pensée morale qui dit qu’on ne peut pas juger sur leur mine. Le dessinateur, lui, ne juge que sur la mine. Aujourd’hui, dans le box des accusés, j’ai vu des prédateurs, des suiveurs, des types faussement contrits, du moins est-ce l’impression qu’ils dégagent et le feeling que je ressens. C’est cela que je vais essayer de rendre.

Comment vous êtes-vous retrouvé à dessiner ce procès ?

J’étais très ami avec Cabu. J’avais beaucoup de respect pour lui et j’admirais depuis toujours son travail. Il m’avait sollicité à plusieurs reprises pour rejoindre Charlie, mais cela ne s’était pas fait, pour diverses raisons. Nous nous étions vus avec lui et l’équipe de Charlie lors d’un festival à Arras, où se trouvait également Riss, et Cabu m’avait encore relancé. Après l’attentat, Riss a dû se souvenir de ce moment et m’a alors contacté pour intégrer la nouvelle équipe. Je ne me voyais pas dire non, malgré les réserves de mes proches. Alors j’ai pris un pseudo, que je ne vous donnerai pas ! J’y pratique une forme d’humour qui ne correspond pas nécessairement à celui de Charlie, mais avec lequel il partage, je crois, un refus de la moralisation. Quand Riss m’a demandé de me charger de la retranscription du procès, en duo avec Yannick Haenel, je n’ai pas davantage hésité, même si Riss nous a mis un peu la pression, avec son humour bien à lui, en nous disant qu’il fallait qu’on produise un « monument » !

Nous parlons de dessinateurs abattus à la kalachnikov !

N’avez-vous pas déjà été dans la peau d’un dessinateur judiciaire au procès du Carlton, il y a quelques années ?

Oui, mais le Carlton, à côté, avec DSK ou Dédé la Saumure, c’était du Feydeau ou du Courteline. On nageait parfois dans le vaudeville. Là, nous sommes dans la tragédie. Il y a, bien sûr, les victimes de l’Hyper Cacher et les policiers assassinés, que je n’oublie pas, mais mon métier me place tout naturellement aux côtés de mes collègues assassinés parce qu’ils avaient eu le tort d’être des dessinateurs. Que l’on tue pour des dessins, c’est quelque chose d’inouï, d’inédit. Par le passé, Louis-Philippe avait peut-être mis des caricaturistes à l’amende, mais là nous parlons de dessinateurs abattus à la kalachnikov !

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C’est pour cette raison aussi que je tiens à faire cette couverture du procès, car c’est aussi un moyen de témoigner du pouvoir et de l’incidence du dessin, qui est quelque chose de profond, qui possède des vertus qui ébranlent. Le procès est filmé, mais j’espère que mes dessins apporteront quelque chose de différent, une autre forme de réalité. Le territoire du dessin, c’est autre chose que la littérature, la photographie ou le cinéma. Avec le dessin, on formalise le rêve que produit la littérature, avec des formes tangibles, on le crédibilise, sans en donner une forme aussi achevée qu’une image. Il y a une part laissée à l’interprétation du lecteur sur les acteurs du procès, même si, comme je l’ai dit, j’oriente nécessairement son regard en fonction de mes propres impressions. Ma réalité ne sera pas celle des chroniqueurs judiciaires.

Pour le dessinateur que vous êtes, l’omniprésence du masque doit représenter un réel défi, non ?

Oui, mais cela donne aussi un côté fantomatique à ce procès qui est hors norme, et dont la figuration est finalement aussi hors norme. J’ai pu saisir le visage de Me Isabelle Coutant-Peyre, l’avocate d’Ali Riza Polat, car elle a entamé les débats démasquée, ainsi que les avocats qui ont suivi, avant d’être rappelée à l’ordre par le président. En revanche, je n’ai pas pu dessiner le visage de ce dernier. Il avait brièvement abaissé son masque pour respirer, mais je n’ai pas eu le temps de le saisir. Voilà ce qu’il faut capter : un moment à part, remarquable, un haussement de sourcils, un éclair dans le regard, qui suggérera beaucoup de choses. Je pense à Daumier, lorsqu’il croquait un avocat qui dormait, il y avait de la vie dans ses dessins. Ce qui est troublant également, c’est que le masque uniformise tout, les accusés sont en miroir des victimes et de leurs proches, et de nous tous, sans même parler des policiers, dont certains sont intégralement cagoulés.

Vous n’êtes pas dessinateur de presse, mais de bande dessinée. N’êtes-vous pas tenté de mettre en image les multiples récits qui sont offerts pendant le procès plutôt que ceux qui les racontent ?

C’est vrai que lorsque l’on entend les premiers récits concernant les accusés, il y a des images qui me viennent immédiatement en tête, des séquences comme ces trocs d’armes qui pourraient figurer dans une bande dessinée, mais je m’en tiens aux images du procès qui ont leur propre pouvoir de suggestion et leur force de témoignage. Ce sera à Yannick Haenel de construire sa propre histoire à partir des propos qui sont tenus. Je pense que la mise en page du procès du Carlton était bien adaptée à l’exercice, car elle donnait une certaine aération au dessin et au texte. J’adorais la manière dont Cabu retranscrivait les procès dans les pages de Charlie, parfois sur deux pages, avec une économie de moyens extraordinaire.

Vous avez perdu des amis dans les attentats. Comment conserver une distance adéquate dans le traitement du procès ?

Je ne suis pas sûr qu’il existe une distance quelconque à observer. Tout est, encore une fois, affaire de ressenti. Là, ma main ne tremble pas. Mais cela risque d’être plus difficile quand Riss ou Véronique, la femme de Cabu, vont venir témoigner.

Source: lepoint.fr

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