Fenêtres ouvertes sur l’été, le Mino a comme un air de cabane de pêcheur échouée en plein 20e arrondissement. Tout de bois vêtu, ce bar d’angle, savant mélange de rétro chic et de décoration bohème, accueille le chaland égaré comme on rentre au port, c’est-à-dire content de sa journée. Aux murs, d’anciennes poutres de voies de chemin de fer aiguillent le passager vers les tables montées sur rails. Astuce du chef pour rapprocher et réchauffer les cœurs. Ici, pas de sifflet pour indiquer le coup de feu, le client est roi. Rhum, whisky, xérès, citron vert du Brésil et sirop d’agave…, la carte des trésors suffirait presque à donner des envies de grand large.
À la proue du bar, Ludovic, chemise rose ouverte aux quatre vents, aiguise ses shakers le temps d’une dégustation. Un peu pirate, ce trentenaire à la barbe noire, casquette vissée contre les embruns, sifflote en arborant un tatouage pour le moins équivoque. Un shaker sur l’avant-bras droit confirme que nous sommes bien dans un repaire de barmans. « Je l’ai fait tatouer à New York il y a 10 ans », explique celui qui préfère son diminutif de Ludo. Une histoire de port, encore, et de chasse aux cocktails, toujours. « Ce serait trop long à raconter », pare Ludovic, pardon Ludo : « Je vais plutôt vous faire tomber dans les pommes. »
Rhum, pomme, pomme, pomme
Du rhum, deux doigts de jus de citron vert pressé – « choisissez un citron vert, c’est mieux parce que plus fruité », précise Ludo –, une lichette de cordial gingembre, « moins fort en sucrosité », du jus de pommes frais labellisé granny smith et le tour est joué. Inscrit à la carte, le bien nommé « Tomber dans les pommes » se mesure à sa fraîcheur. « Il y a des variantes, confie notre personnel navigant, en fonction du rhum, s’il est arrangé ou non, et du goût de la pomme. » En fond sonore, la musique du groupe Coldplay « Hymn for the Week-end » nous rappelle aux goûts musicaux de Ludo, passionné de variété. « Ce cocktail m’a fait penser à la chanson de Rihanna, vous savez «Rum pom pom pom» ? » Trop tard, nous sommes déjà dans les pommes.
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La vague passée, Ludo, bien décidé à réveiller le marin en nous, penche vers l’anecdote : « Une cliente me demande un jour : «Est-ce que vous pouvez me servir un cocktail qui me ressemble ?» Je lui ai donné un verre d’eau », s’amuse notre serveur. L’histoire ne dit pas si la cliente est repartie satisfaite. Ed Sheeran, chanteur en vogue, s’invite à son tour au bar. Les paroles de sa chanson, aussi sucrées que notre précédent cocktail, indiquent que l’été et la saison des amours touchent à leurs fins. Pour nous rasséréner, Ludo, en bon capitaine, propose de nous envoyer en l’air.
« S’il y a de l’alcool, c’est que c’est pas très détox »
Du Pimm’s, du citron vert, quelques gouttes de Cordial gingembre, du Prosecco et un élégant soda saveur pamplemousse se marient devant nous sous une pluie de sucre glace. « Celui-là ne se secoue pas », explique Ludo comme on parlerait d’un vieil ami un peu émotif. Une feuille de menthe posée en équilibre achève la noce des saveurs. « Ne pas oublier de touiller les glaçons au préalable pour rafraîchir le verre », rappelle notre barman à la barre. Après être tombés dans les pommes, le « S’envoyer en l’air » réveille tout en refroidissant nos ardeurs grâce au pamplemousse, ce fruit de saison. Et qui dit fruit dit cocktail vertueux, la mode étant aux boissons étiquetées bio et autres infusions. Ludo est plus direct : « S’il y a de l’alcool, c’est que c’est pas très détox, mais on a de plus en plus de cocktails aux fruits de saison. Fraise et basilic, par exemple. » Sans parler du spritz, efficace mais peu original.
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Cédant aux sirènes de l’originalité, c’est à Ludo que revient de larguer les amarres, direction la cave. Il en ressort une bouteille de xérès, de ces vins éclos en terre d’Espagne, réputés pour leur langueur en bouche. Trois centilitres de vodka, deux doigts de citron vert, du sirop d’agave pour le côté suave et six centilitres de jus de pastèque complètent ce cocktail détonnant, entre contradictions et passages à l’acte. Par ces temps de Covid, la paille du chef, comme un coup de baguette, sonne la fin du dosage. Accroché au débotté, un brin de violette jette un peu de couleur dans ce rose tendre. Ludo en convient : « C’est une totale improvisation. » Pas de nom, inconnu au bataillon. La surprise est pourtant au rendez-vous.
Point final
Comme dans tout cocktail d’exception, c’est une partition en plusieurs mouvements qui chatouille le palais. La pastèque, gorgée de soleil, se mêle à la vodka sans en détourner le goût. Le citron vert, amertume contre amertume, picote en même temps qu’il tempère la fermeté de l’alcool, rejoint en cela par le sirop d’agave. Finalement, c’est à la noix, ronde et subtile, que l’on doit l’alchimie de ce cocktail. Elle accorde, noyaute et révèle le bouquet final sans en casser la fraîcheur première. Tout à son éventail de saveurs, Ludo conclut pour nous : « Ce goût de figue, ce côté noisette qui ressemble aux vins du Jura, aux vins d’Arbois, vient du xérès. » Un vin terrien voire terreux, sec comme la terre d’Espagne, aura eu le fin mot de cette dégustation en trois temps. Reste à lui trouver un nom. Ludo se concentre. « Despacito » a remplacé Ed Sheeran à la radio. « Vous êtes du «Point» ? «Le Point final» ? »Source: lepoint.fr
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