À l’automne 2019, deux auteurs publiaient AIR, un roman qui imaginait la France glissant volontairement vers une dictature écologique. Les citoyens sont encouragés à dénoncer leurs voisins, les voitures sont prohibées et les libertés individuelles rognées pour servir le dieu de l’écologie. Des Khmers verts prennent le pouvoir avec l’assentiment des électeurs, particulièrement des plus jeunes qui n’hésitent pas à jouer les anges de la mort contre tous ceux qui n’adopteraient pas leur mode de vie. Les élections municipales du mois dernier ont montré que dans beaucoup de grandes villes, des habitants souhaitaient instaurer un comportement environnementalement correct. Çà et là (comme à Bordeaux, à Grenoble ou à Lyon) ont fleuri des discours délirants visant à éradiquer la voiture des villes, à prôner une décroissance économique, à végétaliser à outrance des rues ou des centres commerciaux. Relire AIR (éd. Michel Lafon) aujourd’hui, c’est se dire que la réalité frôlera peut-être la fiction. Plus d’un an après avoir mis un point final à son livre, Raphaël de Andréis, co-auteur avec Bertil Scali et par ailleurs directeur général de Havas Media France, revient sur cet entrecroisement entre l’imagination et les résultats électoraux d’une France qui se cherche.
Votre livre AIR avait vu juste, la France est en voie de basculer dans une dictature écologique ?
Raphaël de Andréis : Avec Bertil Scali, mon coauteur, nous avons eu l’idée de notre roman AIR*, après avoir regardé le premier grand discours de Greta Thunberg fin 2018. Nous nous sommes appelés et avons ressenti la même chose. Un discours radical, effrayant même pour des hommes nés en 1969 tels que nous, et en même temps, une argumentation implacable où chaque chiffre et chaque fait oblige toute personne censée, à réaliser l’urgence absolue dans laquelle la planète se trouve. Qu’on le veuille ou non. C’est cette tension entre l’envie de continuer comme avant et l’analyse que ce n’est plus possible, qui est la matière de notre roman. Un récit écrit à échelle d’homme, celle de Samuel Bourget notre héros né en 1969.
J’avoue que quand AIR est sorti en septembre 2019, je n’aurais jamais imaginé que neuf mois après, nous aurions eu les résultats de la première convention citoyenne pour le climat. La disruption démocratique qu’elle représente me paraît à la hauteur de l’enjeu et apte à contenir des radicalités irresponsables. Je suis bluffé de voir 150 personnes très diverses tirées au sort, exposées à des faits contradictoires, s’entendre sur 149 propositions au lieu de se transformer en banquet d’Asterix où voleraient la vaisselle et les noms d’oiseaux. Ce sérieux est émouvant. J’attends avec impatience la suite donnée à cette démarche par le président. Ce qui m’inquiète en revanche, c’est de s’assurer du temps minimum pour que le monde économique puisse transitionner son modèle quand c’est nécessaire. Aller vite, oui, renverser la table et les emplois qui vont avec, non.
Entre ces grandes villes qui se sont dotées de maires écologiques et les propositions de la convention citoyenne, qu’est-ce qui vous semble le plus marquant et durable ?
Faire de la qualité de l’air un priorité absolue. À côté des particules fines, le Covid est un amateur en termes de mortalité dans le monde. Je pense aussi à végétalisation des villes et de leur périphérie, seule solution crédible face aux canicules. Je retiens aussi la rénovation thermique massive, le développement de l’énergie solaire, les bus électriques, et la priorité donnée au local et au bio pour l’alimentation des citadins.
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Dans votre roman, vous actez que les Français vont eux-mêmes préconiser et accélérer une politique écologique punitive…
Notre roman est un roman. Cela permet d’aller loin pour rendre l’histoire prenante. Rien ne me glacerait plus le sang que de voir des milices vertes dénoncer leurs voisins. Mais j’attire votre attention sur un fait historique, c’est la première fois qu’un courant radical ne s’appuie pas sur une idéologie, mais sur des faits scientifiques. Par ailleurs, il y a une mythologie de la nature à l’extrême gauche comme à l’extrême droite. L’enjeu pour la démocratie est donc de prendre le leadership sur ces sujets pour ne pas être débordée sur ces deux flancs par une vision strictement punitive. Le green new deal, idée qui figurait déjà dans notre roman, européen est une opportunité historique.
Entre tenants d’un changement radical de nos modes de vie et ceux qui ne veulent pas remettre en question un modèle de société, l’écart se creuse. Où cela peut-il nous mener ?
Au risque de me répéter, 150 citoyens tirés au sort se sont entendus sur 149 propositions crédibles à défaut d’être toutes applicables demain. Cela démontre que l’on peut créer des dynamiques autour d’une analyse contradictoire et factuelle. Je suis du côté de Spinoza, je crois à l’éthique de la raison, a fortiori quand c’est la nature qui est en jeu. Vous verrez d’ailleurs que « les forces de l’argent », comme les nomment les ennemis de la finance, ont choisi leur camp et ce sera celui de la croissance durable. Je crois sincèrement qu’en Europe en tout cas les étoiles entre écologie et économie et finance sont en train de s’aligner.
Si la démocratie échoue à éveiller les consciences écologiques faudra-t-il avoir recours à la dictature ?
Je pense honnêtement que c’est un risque. Le choix faustien que l’on nous proposerait serait : « préfères-tu la survie de la planète ou la liberté ? ». Le jour où le problème est posé en ces termes, ce sera compliqué.
Le clivage écologique n’est-il pas un épigone de l’éternel conflit de générations ?
Beaucoup de séniors sont très sensibles aux thèmes écologiques même si cela ne se transforme pas toujours dans leur vote. L’écologie sera comme le digital, cela part des jeunes et tout le monde est en train de suivre.
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Dans votre métier de publicitaire, constatez-vous une réelle prise de conscience ou un greenwashing marketing ?
Le greenwashing cela peut exister bien sûr, mais la publicité en France est sans doute le métier le plus régulé après les médicaments. Une publicité qui passe par une agence et sur un média « classique » est tenue de respecter l’intégralité des règles et lois, notamment sur la consommation énergétique. Chaque année, des milliers de signalements ont lieu par des citoyens auprès de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité. Les cas posant problème sont soumis au jury de déontologie composé de membres indépendants tels que des universitaires, médecins… Pour autant, les mentalités et les règles évoluent très rapidement. La publicité est un acte créatif qui se situe du côté de l’envie (et ce n’est pas un gros mot), mais le devoir de transparence s’accélère et toutes les associations professionnelles, Union de marques, ou AACC et Udecam côté agences, s’en réjouissent.
Les publicitaires sont particulièrement dans le viseur des écologistes. Comment comptez-vous vous adapter ?
D’abord, je dirais que l’écologie est l’affaire de tous ou presque. Si une marque veut réussir dans les années à venir, elle a intérêt à mettre ce thème au cœur non seulement de ses discours, mais évidemment de ces actes. Le marketing va là où sont les gens et l’environnement est la première inquiétude des Français devant la santé et l’emploi. La publicité est un agent accélérateur des changements. Sans publicité, croyez-vous que le bio se serait développé si vite ? Il faut aligner tout le système offre et demande. Et l’enjeu est évidemment la démocratisation des bons produits et donc un enjeu d’échelle. C’est le propre de la publicité. Cette industrie créative dont la France est, soit dit en passant, un des leaders mondiaux.
Quels pays vous semblent avoir le mieux adopté un virage vert ?
Ce n’est pas à moi de distribuer les bons et les mauvais points, aussi, je me référerais au classement de l’université de Yale, dont la dernière livraison date de 2018. Un classement a des limites, mais il combine de nombreux critères objectifs. C’est la Suisse qui a été élue le pays le plus écologique du monde (score : 87,24/100). Le pays encourage vigoureusement ses citoyens à consommer responsable et promeut l’utilisation d’énergie renouvelable dans l’exploitation et l’utilisation des ressources. La Suisse a aussi su concentrer sa politique pour contenir l’augmentation de température en dessous de 2 °C en réduisant considérablement ses émissions de gaz à effets de serre. Enfin, le pays s’est engagé durablement à la préservation de la qualité de l’eau et au maintien de la biodiversité.
Sur la deuxième marche du podium, on trouve… la France. Deux ans avant le classement, en 2016, elle occupait la 10e position. Aujourd’hui, avec un score de 83,95/100, la France fait figure de bonne élève sur la question environnementale. La qualité de l’air reste cependant un enjeu majeur, nous venons de le voir, le risque d’astreinte émanant des autorités européennes.
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Entre les citadins et les ruraux, le fossé s’est-il creusé au point que deux modes de vie coexistent désormais ?
Le confinement a démontré une chose, si vous empêchez un être humain de se connecter à la nature, vous le dévitalisez. D’ailleurs, on a vu l’exode vers les maisons de famille et les résidences secondaires pour les plus aisés. Il aura fallu cette expérience géante pour que les gens réalisent que leur lien à la nature n’était pas négociable, mais aussi qu’il y avait en France une fracture verte. Si vous habitez une cité de béton, vous êtes privé de ce droit fondamental du lien à la nature. Quelle que soit la façon dont on prend le sujet. Que l’on soit riche, modeste, urbain, rural, de droite, du centre ou de gauche, on est, presque, tous en train de devenir écologistes. Et c’est heureux.
(*) « AIR », de Bertil Scali et Raphaël de Andréis. Éditions Michel Lafon.
Source: lepoint.fr
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