La banlieue, les jeunes, les flics… source d’inspiration de la fin du XXe siècle : Hegaxone, de Malik Chibane, tendance « touche pas à mon pote », avait aussi eu son petit succès en 1993 et, deux ans après La Haine, en 1997, sortira Ma 6-T va craquer, de Jean-François Richet, qui marqua lui aussi les esprits. Dès le début de la dernière décennie, les émeutes enflamment les banlieues : en 1990, Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines, voit s’opposer deux bandes armées de barres de fer et de battes de base-ball. C’est ici que cinq ans plus tard Mathieu Kassovitz tournera son deuxième long-métrage après Métisse.
Les émeutes et les violences qui avaient secoué la France pendant trois jours à la suite de l’« affaire Makomé M’Bowolé » – un jeune tué par un policier (condamné à huit ans de réclusion) en 1993 dans le 18e arrondissement parisien – l’ont poussé à réaliser ce film. Pour La Haine, il laisse en plan celui qu’il est en train d’écrire.
« Kasso » a voulu marquer cet anniversaire de 25 ans sous la forme d’un livre, paru chez aux éditions Maison CF de Clémentine de la Féronnière. Deux matériaux s’y confrontent et s’y répondent : les images de Gilles Favier, photographe dont le réalisateur avait tant apprécié le travail sur le quartier de la Renaude, à Marseille, qu’il lui avait demandé de faire la même chose à Chanteloup-les-Vignes.
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Et des écrits : le scénario et les textes des auteurs. Le graphiste Vincent Perrottet, qui a mis en scène ce livre, a repris sur la couverture le leitmotiv devenu slogan en 1995 : « Jusqu’ici tout va bien… », et a voulu que les images de Gilles Favier prennent tout de suite « la parole » : du noir et blanc, un insigne de police pris dans les éclats d’une vitre brisée et on y est. La cité de La Noé en 1994, portraits des habitants, angles de rues, palissades avec sens interdit devant, le visage de Baudelaire peint sur un haut mur surplombant une voiture. Ni sentimentalisme ni rudesse. Mais une solitude, un isolement, du gris.
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Le scénario arrive là comme en infraction, prenant l’espace. Ce scénario que Kassovitz avait baptisé « Droit de cité » dissimulant ainsi le fait que son film porterait le titre de La Haine, ce qui effrayait tout le monde, même son producteur Christophe Rossignon. Jamais Kassovitz ne renoncera à cette volonté. Le scénario dialogue avec les « documents » de Gilles Favier. « J’ai travaillé tout d’abord quinze jours pour donner ces éléments de documentation à Mathieu, se souvient celui-ci. Et j’ai voulu rester et assister au tournage non pas comme photographe de plateau, mais pour réaliser une sorte de double miroir entre le film se faisant et la réalité de la cité. C’était passionnant de voir comme l’habit fait le moine parfois : il suffisait que les jeunes, figurants sur le film, aient endossé l’uniforme des CRS pour qu’ils adoptent un comportement autoritaire, de flic envers leurs potes. »
Gilles Favier est alors membre de l’Agence Vu. Il a beaucoup travaillé avec Christian Caujolle, le chef photo de Libération, sur ces mouvements sociaux. « Contrairement à la Renaude de Marseille, moitié maghrébine et moitié gitane, à Chanteloup beaucoup de familles étaient d’origine d’Afrique noire. J’y travaillais tous les jours, et lorsque les choses ne se passaient pas bien, le jeune qui m’accompagnait faisait l’intermédiaire entre les gens de la cité et moi. Ce qui a changé depuis 1995 ? Pas le fond en tout cas, la violence, la rage, on retrouve les mêmes éléments. Mais aujourd’hui je ne crois pas que ce trio si œcuménique – un Blanc juif, un Noir chrétien, un beur musulman – soit possible : les communautarismes ont fait disparaître l’espace commun. Mais la différence fondamentale, ce sont les images : celles que tout le monde fait avec le smartphone. À l’époque, les photos d’émeutes ou de policiers tabassant un gars, on n’en voyait pas. Aujourd’hui, même la police filme… Rien ne peut échapper à l’œil et à l’enregistrement. »
Favier photographie les habitants, le RER pour aller à Chanteloup, les graffitis, les vitres cassées, les acteurs, Vinz (Vincent Cassel) et le flingue du flic qu’il trimballe tout le temps, mais aussi la vache dans une hallucination, les indications de tournage de Kassovitz… « Les gosses touchaient leur cachet à la fin de la semaine. L’équivalent de 300, 400 euros… Certains ont tenté leur chance dans le cinéma, mais la plupart se sont cassé les dents. »
Le film remportera trois césar et sera pour Mathieu Kassovitz, Gilles Favier, Vincent Cassel un « accélérateur de carrière ». Pour Rachid Djaïnini, aussi : le jeune de Chanteloup est devenu écrivain reconnu, réalisateur nommé aux César avec Le Tour de France » (avec Depardieu) et participe au film de Jean-Pascal Zadi Tout simplement noir. C’est lui qui avait défendu Gilles Favier lorsque, sur le plateau du Cercle de minuit, animé par Laure Adler, celui-ci s’entendit dire : « Toi, t’es pas de la banlieue, t’as pas le droit de travailler sur la banlieue »… Un petit avant-goût des débats sur l’appropriation culturelle tant à la mode en ce moment…
La Haine raconte la journée de trois mecs de banlieue. La journée se finira mal. Un homme meurt. Qui ? Le film ne le dira pas : « La haine garde jeune, dit Mathieu Kassovitz, car avoir la haine c’est entrer en réaction, ne pas accepter sans comprendre, vouloir justice, pour soi et pour les autres… » Alors, 25 ans, qu’est-ce qui a changé ?
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La Haine (1995), de Mathieu Kassovitz, sortie en salles mercredi 15 juillet.
La Haine, jusqu’ici tout va bien, 25 ans après, 116 photographies de Gilles Favier, scénario intégral de Mathieu Kassovitz, textes de Mathieu Kassovitz et Gilles Favier, mise en pages de Vincent Perrottet, 192 p., 39 €.
Signature à la librairie La Comète, 29 rue des Récollets, Paris 10e, le 21 juillet à partir de 18 h 30.
Source: lepoint.fr
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