вторник, 16 июня 2020 г.

«En provoquant la Corée du Sud, Pyongyang envoie un signal aux Etats-Unis»

La Corée du Nord a démoli une partie du bureau de liaison installé à la frontière avec le Sud, le signe d'un coup d'arrêt dans le rapprochement entre les deux Corées. Juliette Morillot, historienne, journaliste et auteure* spécialiste de la Corée du Nord, décrypte la situation pour Paris Match.

Paris Match. Quelle est la réaction dans les médias nord coréens?
Juliette Morillot. La télévision nord-coréenne a annoncé cela comme une explosion retentissante contre les Sud-Coréens. Pour l'instant, ce sont beaucoup de reportages et de chansons mettant en valeur le parti des travailleurs. Il y en a toujours, mais ce qui est particulièrement intéressant c'est que depuis quelques semaines, on fait référence au dangjungan, ce qui veut dire «le centre du parti». C'est une expression qu'on n'a pas entendue ou lue depuis vraiment longtemps et qui avait été utilisée en 1974, alors que Kim Jong Il était prévu comme successeur de son père. Il n'avait pas de titre mais on employait ce terme : petit à petit, on s'est aperçu que ce mystérieux «centre du parti» était Kim Jong Il qui a pris le pouvoir à la mort de son père. Pour Kim Jong Un, la succession a été plus rapide, on lui a tout de suite donné des titres. Là, cela correspond à la montée en puissance de Kim Yo Jong, la petite soeur. Je me demande si l'emploi de ce terme et le fait qu'on parle de plus en plus de ce dangjungan n’est pas pour prévoir une succession.
La crise du Covid pourrait expliquer que la Corée du Nord s'interroge sur une éventuelle succession, d'autant que les rumeurs non confirmées évoquent une maladie ou une mauvaise santé de Kim Jong Un. Kim Yo Jong est près de Kim Jong Un depuis longtemps, notamment en 2018, et était là à tous les sommets comme Hanoï. Elle grimpe en puissance avec des postes de plus en plus importants. Depuis 15 jours, elle semble l'interlocuteur de la Corée du Sud. Depuis 15 jours, trois semaines, elle fait des éditos dans le «Rodong Sinmun», qu'elle signe elle-même, ce qui est assez exceptionnel. Il y a une convergence de choses qui montre que Kim Yo Jong pourrait être vue comme le successeur de Kim Jong Un dans l'éventualité de son décès.

Il y a donc une double analyse, domestique et internationale…
Cela arrive à un moment où la Corée du Nord commence à avoir des difficultés économiques à cause des sanctions qui n'ont pas été levées, malgré les espoirs portés avec l'apaisement avec les USA et la Corée du Sud, et ils ont subi de plein fouet la crise du coronavirus. Même s'il n'y a pas de cas officiel dans le pays, la Corée du Nord a dès février fermé toutes ses frontières y compris avec la Chine, or 80% du commerce de la Corée du Nord dépend de la Chine. Ils se sont eux-mêmes coupés d'une partie de leurs ressources. Actuellement, on parle de réduction des coupons de distribution alimentaire, on commence à voir des problèmes d'approvisionnement. Il est important pour le pays de réunir son peuple face à, ce qui est traditionnel chez eux, un ennemi commun, et c'est ici la Corée du Sud. Et c'est important pour Kim Yo Jong de se légitimer par des actions militaires -Kim Jong Il lui-même avait été légitimé par des actions militaires quelques années avant la mort de Kim Jong Il. C'est important car Kim Yo Jong a elle-même annoncé qu'elle allait décider de détruire ce symbole des relations inter coréennes et ils ont prévu de détruire d'autres symboles : elle a dit qu'elle allait s'appuyer sur l'armée qui prendrait les bonnes décisions. On sent qu'en tant que femme, elle prend le pouvoir aussi sur l'armée. C’est une légitimation de son personnage vis à vis de la population coréenne réunie face à l'ennemi sud-coréen.
La Corée du Sud est le meilleur ennemi de la Corée du Nord : quand ils en ont besoin, il existe des rêves d'unification, mais quand ils n'en ont plus besoin, c'est l'ennemi. Nous sommes au début d'une stratégie nord coréenne pour faire monter les tensions : en provoquant la Corée du Sud, Pyongyang envoie un signal à Washington, le tout sur fond d'élections à venir et de tensions entre la Chine et les Etats-Unis. La Corée du Nord ne peut pas attaquer des intérêts américains, mais les Etats-Unis restent le seul interlocuteur valable aux yeux de Pyongyang. Rien ne s'est passé depuis les accords avec la Corée du Sud, malgré tous les efforts de Moon Jae-in pour tendre la main.

«La Corée du Sud a tout fait pour désamorcer la crise»

Pensez-vous que le signal de la démolition de ce bureau marque un arrêt définitif au rapprochement entre les deux Corées ?
Avec la Corée du Nord, tout est saisonnier et se reprend. La Corée du Nord a toujours un peu mené le jeu mais maintenant la Corée du Nord est de facto une puissance nucléaire et on la prend très au sérieux. Il y a eu une lune de miel en 2018, beaucoup d'espoirs ont été créés, notamment les liaisons en train, les échanges commerciaux… puis le coup d'arrêt en 2019 après l’échec du sommet de Hanoï. On utilise la Corée du Sud, ce qui est curieux car tout a été déclenché par cette histoire de prospectus largués au dessus de la Corée du Nord alors que la Corée du Sud a d'emblée réagi et immédiatement interrompu et interdit ces lancements. Malgré tout, c'est comme si c'était une stratégie prévue d'avance car les Nord-Coréens ont continué.
Trump d'ailleurs, pourrait utiliser la provocation pour lui-même pour détourner l'attention du public américain contre d'une part l'échec de la gestion du Covid et les tensions raciales.

Comment cette situation est-elle perçue en Corée du Sud ?
La Corée du Sud a tout fait pour désamorcer la crise. D'une part, il y a quelques jours, la Corée du Sud avait dit que les accords stipulant les May Sanctions, interdisant le commerce entre les deux Corées, n'avaient plus lieu d'être : c'était une porte ouverte. Puis la Corée du Sud a immédiatement réagi en interdisant les diffusions e tracts. Ils sont un peu dépassés par la bellicosité de Pyongyang, d'autant que Pyongyang s'était engagé, pendant la lune de miel, outre le bureau, à la fin de la militarisation dans certaines zones -ce qui pourrait bientôt reprendre. La Corée du Sud pour l'instant est un petit peu désemparée et essaie d'envoyer des signaux de paix pour calmer les tensions. Vu les efforts personnels de Moon Jae-in dans cette politique de main tendue et de réconciliation, c'est comme si cette stratégie de tension obéissait à un impératif double de s'adresser aux Usa et de donner un dérivatif aux problèmes internes, mais c'est assez curieux.
Pour l'instant, la cible de Pyongyang avait été annoncée à l'avance et seule une partie du bâtiment a été détruite. C'est avant tout symbolique d'autant que ça se passe en territoire nord-coréen. C'est plus diplomatique que le pilonnage d'une île et une attaque militaire comme en 2010 ! A ce stade, cela reste de la rhétorique… mais les Sud-Coréens n'apprécieront pas forcément car le bureau de Kaesong a été construit avec les impôts des Sud-Coréens, c'est mauvais pour Moon Jae-in.

* «Mijin, confessions d'une catholique nord-coréenne», aux éditions Bayard

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Source: ParisMatch.com

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