пятница, 26 июня 2020 г.

« En tant que maison d’édition, la liberté d’expression est notre priorité absolue »

Boycotté, le prochain roman de J.K. Rowling ? La créatrice de la saga Harry Potter est la cible, chez son éditeur britannique, Hachette UK, de la vindicte d’une poignée de personnes froissées par un tweet qualifié de « transphobe ». Inquiété, le dernier roman de Timothée de Fombelle ? Son éditeur anglo-saxon historique, Walker Books, refuse de publier l’histoire d’Alma, jeune héroïne noire à l’époque de l’esclavage.

Les livres qui nourrissent nos enfants vont-ils devoir eux aussi plier face aux sensibilités exacerbées ? Hedwige Pasquet, directrice de Gallimard Jeunesse – maison d’édition de Rowling en France – invite à lire « plus loin que le titre » et rappelle le rôle fondamental de la littérature jeunesse.

Le Point : Quelle est votre position concernant la polémique J.K. Rowling ?

Hedwige Pasquet : La chose la plus importante, selon moi, c’est de dissocier l’autrice de son œuvre. Lorsqu’on considère son œuvre, les Harry Potter, rien ne laisse transparaître le moindre élément polémique. Quand on voit la façon dont Rowling s’est attachée à y défendre les opprimés, par le livre et en montant en plus des fondations pour les femmes ou les orphelins, et quand on considère l’impact qu’ont eu ses romans non seulement sur la lecture des jeunes, mais aussi, ce qu’on ne dit pas toujours, sur l’écriture, puisqu’elle a donné envie d’écrire à de nombreux auteurs, il n’y a pas le moindre doute. Harry Potter est un roman initiatique. Bon nombre d’enfants ont découvert la diversité et l’ouverture à l’occasion de cette lecture. Il a eu un impact sur une génération entière. L’exemple des Mangemorts est éloquent pour montrer sa façon de traiter du nazisme. Et rien, dans son œuvre, ne laisse penser ce qui lui est reproché aujourd’hui. Ensuite il y a l’autrice. En tant que maison d’édition, la liberté d’expression est notre credo. C’est notre priorité absolue et nous n’avons pas pour rôle de rentrer dans une polémique ou de juger les auteurs.

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Twitter, que J.K. Rowling utilise beaucoup pour exprimer des opinions personnelles, a une nouvelle fois révélé son pouvoir néfaste. Est-ce l’arroseur arrosé ?

Le fameux tweet qui a déclenché la polémique, Rowling a voulu l’effacer. Puis elle s’est rendu compte que l’effet dévastateur de sa pointe d’ironie n’avait pas lieu d’être. Pour comprendre, il faut aller voir sur son site, où elle a pris la peine de répondre à cette polémique par un texte extrêmement long. Elle y évoque énormément de choses, et, ce faisant, elle a voulu expliquer sa position. Cette position, chacun peut ensuite la juger et l’interpréter à sa manière. Mais on ne peut pas nier, ni ignorer ce qu’elle a écrit. Il faut lire ce texte pour se faire une véritable opinion. De plus, elle sait parfaitement que la question des transsexuels est un sujet sensible ; si elle l’aborde, c’est parce que cela lui tient à cœur. Pour nous, sa maison d’édition, il ne s’agit pas de porter un jugement favorable ou défavorable. Nous condamnons la discrimination sous toutes ses formes. Qui plus est, je pense que la notoriété de l’autrice dans ce genre de polémique, combinée à l’amplification du réseau social, fausse totalement les choses parce qu’elles enflent considérablement plus qu’elles ne devraient.

Le livre va-t-il finalement paraître en Grande-Bretagne ?

Il n’y a aucun doute là-dessus. Le communiqué de presse de Hachette UK est absolument clair. Et c’est la position générale des maisons d’éditions : la liberté d’expression est fondamentale.

Avez-vous recours à des « sensitive readers », à l’américaine, pour passer au crible les textes avant publication ?

Non, je préfère faire confiance à la sensibilité de nos éditeurs. Vous savez, il faut un certain courage pour être éditeur pour la jeunesse. C’est un engagement et une responsabilité. D’abord, nous sommes toujours très proches de l’auteur dont nous voulons publier l’œuvre. Un auteur auquel nous reconnaissons un talent, lequel est aussi choisi pour son respect du lecteur. Mais en effet, cela peut concerner des sujets qui ne sont pas toujours faciles. Je pense à certains auteurs comme Melvin Burgess. Nous avons été les premiers à le publier. Je me souviens d’un titre sur la drogue et ce n’était pas évident à ce moment-là. Ensuite, il y a eu Lady : ma vie de chienne… Un titre qui allait très loin, mais nous avions des raisons de le publier. Burgess considère que son lectorat est un lectorat de jeunes et que si on ne va pas chercher les jeunes avec des sujets qui les intéressent, il est difficile de les amener à la lecture.

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À une époque où Autant en emporte le vent fait polémique, et où on veut réduire Woody Allen au silence, craignez-vous que votre métier change ?

Je pense que la pression sur les éditeurs a toujours existé et que la littérature, qu’elle soit de jeunesse ou non, a toujours été confrontée à des polémiques. Moi je pense que c’est notre rôle de pouvoir publier des textes suffisamment riches et variés pour que les lecteurs puissent s’informer découvrir, analyser, critiquer et, de fait, apprendre à faire face à cette période. Je pense que la littérature jeunesse peut être un apport pour mieux comprendre les questions qui traversent actuellement la société.

Est-ce qu’il y a des thèmes aujourd’hui que vous vous interdisez ?

Non, aucun. Et je trouve que ce serait dommage. Ce serait abonder dans le sens de l’extrémisme.

En ce qui concerne les livres du passé, les soumettez-vous avant réédition à un comité d’éthique – ou de censure – pour valider qu’ils sont conformes à notre temps ? Faut-il les recontextualiser ?

« Comité de censure », je n’irai pas jusque-là, mais il y a certains ouvrages pour lesquels il peut nous arriver d’avoir des mises à jour à faire. Sur tous les plans. Par exemple, il peut être question d’un téléphone fixe, avec un fil, ce que les enfants d’aujourd’hui ne connaissent plus. Dans ce cas, on adapte. Il arrive aussi que nous ne conservions pas certains titres qui, en effet, ne correspondent plus à l’époque dans laquelle nous vivons. Nous avons 5 000 titres au catalogue, et 15 000 titres publiés depuis 45 ans ! Mais je vais vous citer l’exemple de Petits contes nègres pour les enfants des Blancs, écrit par Blaise Cendrars en 1928. Si on s’arrête au titre, il y a le mot nègre et l’on peut se poser la question du bien-fondé d’une telle publication aujourd’hui. Mais si vous lisez l’histoire, vous comprenez tout de suite que la position de l’auteur était de défendre les Noirs et qu’il n’y a aucune idée négrophobe associée au mot. Je pense que c’est exactement comme pour J.K. Rowling : il faut aller plus loin, ne pas s’arrêter à la première impression, mais approfondir pour se faire une opinion.

Que vous inspire le fait que l’éditeur anglais de Timothée de Fombelle refuse pour la première fois de le publier au Royaume-Uni et aux États-Unis ?

Alma est un roman d’aventures sur fond d’histoire au moment de l’esclavage. Dans les milieux anglo-saxons, cela peut être vécu de manière différente de la façon dont nous la vivons en France. Mais rappelons que le métier d’éditeur, c’est accepter ou refuser un texte. C’est son choix. De notre côté, nous sommes en contact avec d’autres maisons d’édition ; ce texte verra le jour dans les pays anglo-saxons.

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Source: lepoint.fr

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