Comment l’affaire Adama Traoré a-t-elle pu être érigée en symbole du racisme dans les forces de l’ordre, alors qu’aucun élément de l’information judiciaire en cours ne permet d’accréditer la thèse d’une interpellation liée à la couleur de peau du jeune homme de 24 ans ? Le comité de soutien à Adama Traoré peut le croire, libre à lui de le crier haut et fort.
Mais les juges d’instruction se déterminent en fonction des informations recueillies lors de leur enquête et ne convoquent pas des témoins parce que le comité Adama le réclame. En l’occurrence, ce dernier fait croire que deux témoins clés dans la procédure seront prochainement entendus par les magistrats grâce à la manifestation qui s’est déroulée mardi dernier devant le palais de justice de Paris et qui a réuni au moins 20 000 personnes.
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Cette assertion, reprise en boucle, ne résiste pourtant pas aux faits. Les juges d’instruction ont annoncé à la famille leur convocation dès… le 10 avril 2019. « Pour l’un des deux témoins, sa mise en œuvre a été retardée par une absence à l’audition programmée le 30 septembre 2019, ce dont les parties ont été informées. Des investigations ont depuis lors été lancées pour le localiser », a confirmé le parquet de Paris dans un communiqué.
Un président de la République sans voix contre le racisme
Le gouvernement réagit sous la pression d’informations erronées. En liant la lutte légitime contre le racisme au sein de la police et de la gendarmerie avec la procédure Adama Traoré, Emmanuel Macron, Édouard Philippe et Christophe Castaner font totalement fausse route.
Depuis le début de son mandat, le président de la République ne s’est d’ailleurs jamais vraiment emparé de la question du racisme et des discriminations. Seuls quelques éléments de langage ont été distillés aux médias ce week-end laissant entendre qu’il aurait demandé à ses ministres d’agir.
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Tous contre Castaner
Le ministre de l’Intérieur, lui, a mécontenté tout le monde lundi lors de sa conférence de presse : les policiers et leur organisation syndicale, Alliance et Unité, dont les tracts inondent les boîtes mails de leurs adhérents depuis ce matin, les syndicats qui représentent une majorité de policiers de la sécurité publique, ceux qui sont en contact immédiat et direct avec la population. L’Unsa et Alternative-CFDT sont également vent debout.
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L’objet de leur courroux ? Les décisions du titulaire de la Place Beauvau de remettre en cause certaines techniques d’interpellation alors que les individus faisant l’objet d’une interpellation se rebellent de plus en plus souvent. S’il peut exister, parfois, une disproportion entre la mise au sol et le délit reproché, c’est toute la culture de l’usage de la force au sein de l’institution qui est à revoir. Pourquoi, par exemple, ne pourrait-on pas aller chercher un délinquant chez lui, à condition que la justice suive, plutôt que risquer de se mettre en danger ? Cela ne vaut évidemment pas pour tous les types d’intervention. Comme le disent les policiers, « c’est le terrain qui décide. »
Les associations antiracistes vent debout
Christophe Castaner a aussi mécontenté les associations antiracistes qui ne se reconnaissent pas dans le comité Adama, notamment ceux qui veulent refonder les relations entre la police et les populations issues de l’immigration postcoloniale, sans en faire une rente de situation à vie, comme a pu l’être SOS Racisme dans les années 1980.
Aucune annonce d’envergure n’a, par ailleurs, été faite par le gouvernement sur les contrôles d’identité au faciès et la remise en cause du fonctionnement de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui constituent les pierres angulaires de la contestation. Interrogé ce matin par Jean-Jacques Bourdin, sur les sanctions encourues par un policier en cas de pratiques racistes avérées et connues, le ministre de l’Intérieur a prétendu que son administration avait pour habitude d’attendre les décisions judiciaires avant de procéder à toute mesure de suspension, voire de sanction.
En réalité, c’est plutôt l’inverse pour les manquements à la déontologie policière, surtout dès qu’il s’agit des gardiens de la paix : l’administration tire d’abord, la justice passe bien après. Au contraire donc des mises en cause liées aux discriminations où il faut attendre une décision judiciaire qui intervient en règle générale très tard après les faits. La preuve que l’éradication du racisme n’a jamais vraiment été considérée comme une priorité pour l’administration.
Les forces de l’ordre et le garçon arabe/noir
Au-delà de l’indignation médiatique, le gouvernement ne se montre pas à la hauteur de l’enjeu, qui consiste en la concorde civile et à l’unité de la nation. L’administration et son ministre, comme tous ceux et celles qui les ont précédés, sont bien incapables aujourd’hui d’ouvrir un débat autrement plus profond sur le fait de savoir si les forces de l’ordre se montrent, par exemple, plus violentes, moins enclines à la discussion, avec de jeunes Noirs ou Arabes.
Le partenariat annoncé avec la Licra ou la Dilcrah, ainsi que l’a annoncé, lundi, le ministre de l’Intérieur, risque de ne pas être d’un grand apport sur cette question fondamentale. De même, le rôle de la hiérarchie dans la prégnance et la transmission de cette culture belliqueuse, liée moins au faciès qu’à l’Histoire, n’est jamais interrogé. Bref, en n’annonçant rien qui permette de faire évoluer les mentalités, le chef de l’État et son gouvernement font comme s’ils tentaient d’apaiser une colère afin d’éviter des émeutes avant la prochaine campagne électorale de 2022.
Source: lepoint.fr
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