Architecte, enseignante, diplômée de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles et membre de l’Académie d’architecture, Anne Démians dirige sa propre agence parisienne (une trentaine de collaborateurs). À son actif, citons notamment les trois tours « Black Swan » à Strasbourg, le lycée hôtelier de Guyancourt, le siège de la Société générale à Fontenay-sous-Bois, ainsi qu’à Paris, plusieurs centaines de récents logements à la gare d’Auteuil et l’extension-rénovation (en cours) de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles (ESPCI). « L’indifférence des pouvoirs publics aux valeurs transversales et esthétiques que portent l’architecture et la ville » figure parmi ses griefs post-Covid. Ses autres boulets rouges ? Une logique du tout-profit économique, du tout-réglementaire et du tout-écologique. Réquisitoire.
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Le Point : En matière d’architecture, vous demandez à Emmanuel Macron d’oser « défaire, corriger et innover ». Que voulez-vous dire ?
Anne Démians : Il y a un an, le président de la République s’est exprimé à l’Élysée devant un illustre parterre d’architectes français et étrangers, dont j’avais l’honneur de faire partie. Dans son allocution, il souhaitait que l’architecture soit encline, dans les années à venir, à devenir « une vraie discipline politique », dans un contexte de monde en mutation. Or, pour construire au mieux l’espace urbain, périurbain et rural, sous résonances didactiques, sociales et territoriales, il est incontournable d’associer à cette réflexion et à ce chantier des artistes, intellectuels, philosophes, créatifs… hélas mis de côté par une bureaucratie qui retrouve son pouvoir dans une politique du tout-économique. Aujourd’hui, il est devenu impossible d’imaginer ou de dessiner des immeubles, des rues ou des boulevards, sans devoir obligatoirement répondre à une liste infinie de prescriptions, de recommandations ou d’obligations instaurées par une bureaucratie aussi inopérante qu’omniprésente. Mais, c’est bien grâce à cette ubiquité qui se cache derrière « un tout-réglementaire »que la bureaucratie fonde son pouvoir et détruit toute inventivité. Elle agit comme un frein à la créativité et à la transparence des enjeux.
Il s’agit de favoriser la liberté d’agir.
Bigre ! Recensez-vous d’autres obstacles de taille aux objectifs précités ?
Ils sont multiples, mais j’aimerais dénoncer cette « idéologie verte » qui s’est développée comme la seule alternative possible à la dépendance économique de nos initiatives. L’écologie-sauce politique avance des solutions dont il est impossible de croire à la sincérité. Leurs diktats sont fournis sans preuve objective de leur utilité. La bonne conscience verte est diffusée sans confortement intellectuel et sans la moindre autocritique. Elle anesthésie et annihile l’analyse des données objectives et scientifiques, quand, parallèlement, la bureaucratie usine du vide dans l’espace politique, pour mieux s’y glisser. La tyrannie du bois, du chanvre, de la laine de mouton et autres prescriptions du « petit paysan illustré » détournent l’attention des populations mal informées des équilibres à installer entre la question environnementale locale et la question des besoins planétaires. Quand l’administration, formée à contrôler et à sanctionner, se met à tout réglementer, y compris l’inventivité.
Comment cela se traduit-il sur le terrain ?
Quand, pour un architecte, il devient impossible d’entreprendre la construction d’un équipement ou de logements, sans qu’il lui soit demandé de les transformer en étal de frondaisons, de semis ou de ruches, c’est bien qu’il n’est plus question d’autre chose que de masquer l’absence d’engagement sur une politique de fond pour celui qui commande. Et pas d’architecture. Quand, pour un architecte, il s’agit de construire de la même façon au nord ou au sud de la France, grâce à une réglementation la même pour tout le monde (alors que nous sommes dotés de géographies variées et de climats différents), c’est bien que tout est fait pour contrôler plus que pour adapter. Et rien d’autre.
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Quelles solutions préconisez-vous ?
Une succession de choses simples est possible, qui ne peut relever que de l’autorité politique. Il s’agit de favoriser la liberté d’agir au-delà des politiques économiques et de rendre aux personnes qualifiées (et non plus à la bureaucratie) l’espace nécessaire pour formuler de nouvelles dispositions qui se justifieraient par la légitimité d’un terreau intellectuel, infiniment opérationnel. De favoriser aussi des réalisations qui se glissent dans la lignée des grands patrimoines des régions, pour que la France soit vue dans le monde comme le modèle territorial, climatique et politique universel auquel elle doit prétendre grâce à son incomparable diversité géographique et à la puissance de son histoire. Puis, un modèle où l’économie et l’environnement se retrouvent, les deux, autour d’une nouvelle réalité sociale. De favoriser enfin une politique saine et potentiellement subjective de l’architecture et de la ville. Une politique dont la gouvernance se construit sur l’intelligence de situations et l’expérience et se développe au sein d’un « ministère en charge de l’architecture, de la ville, du paysage, de la stratégie climatique et de la construction », en lien avec ceux de l’Économie, de l’Équipement, de l’Environnement et de la Culture et dont les résultats seraient évalués à partir d’un montage transversal ; celui de toutes les valeurs qui contribuent à l’équilibre de l’aménagement solidaire du territoire.
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Source: lepoint.fr
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