суббота, 2 мая 2020 г.

Karoutchi : « La crédibilité de la parole publique a été très entamée »

À 68 ans, le sénateur LR des Hauts-de-Seine ne passe pas pour un furieux détracteur d’Emmanuel Macron et ne cache pas sa sympathie pour Édouard Philippe. Mais Roger Karoutchi, autrefois compagnon de route de Philippe Séguin, ne peut que déplorer la dévaluation de la parole publique cruellement illustrée depuis le début de cette crise sanitaire. Il en appelle surtout à un sursaut éducatif de long terme pour que l’apprentissage de la citoyenneté revienne au cœur de l’Éducation et que la Nation, son histoire, la communauté de destin qu’elle incarne nous prépare aux prochaines crises dans l’unité et la responsabilité. Philippe Séguin n’est plus. Karoutchi poursuit avec le témoin du gaullisme social entre les mains. Qui le saisira à droite ?

Le Point : Le président Macron, pour mobiliser, a appelé à la « guerre » contre le coronavirus. Que pensez-vous de cette expression ?

Roger Karoutchi : La guerre, non. Je sais bien qu’on parle de « guerre sanitaire » et qu’on utilise ce mot à toutes les sauces en parlant de « guerre économique », de « guerre commerciale », etc. Mais nous ne revivons pas la Seconde Guerre mondiale avec un ennemi physique et des collaborateurs à combattre. J’eus préféré que le président appelât à la lutte commune contre le virus. À trop banaliser le mot « guerre », on galvaude trop facilement une notion qui renvoie à toutes les personnes qui sont mortes pour la France. Je remarque d’ailleurs que très peu d’États ont parlé de « guerre » face au coronavirus.

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D’une manière générale, le coronavirus a beaucoup fragilisé la parole publique…

La crédibilité de la parole publique a été très entamée. Heureusement, les institutions de la Ve République sont solides. C’est davantage les institutions qui soutiennent le gouvernement que le gouvernement qui domine le squelette de l’État. La crédibilité première, c’est de tenir les engagements. Malheureusement, quand le président de la République parle, le Premier ministre tient ensuite une conférence de presse de deux heures trente pour dire qu’il avisera plus tard, puis les ministres s’égaient dans les médias pour atténuer et parfois contredire les propos d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe. Les Français, confinés et inquiets, se disent « mais qu’est-ce que c’est que ce barnum ? » Puis, les mêmes assurent qu’il n’y a pas une feuille de papiers à cigarettes entre eux… Je ne passe pas pour un anti-macroniste primaire, je suis dans une opposition paisible et constructive, mais quand le président de la République dit, après la crise des Gilets jaunes, que tout va changer et que, trois ou six mois après, on s’aperçoit que rien n’a changé, cela devient difficile de faire le lien. Je ne doute pas de l’intelligence politique et de la finesse d’analyse d’Emmanuel Macron, mais il faut surtout rétablir le crédit de la parole publique.

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Il faut éviter les polémiques entre scientifiques sur les plateaux et le pouvoir politique ne doit pas se retrancher derrière ces débats pour ne pas décider.

La parole politique et la parole scientifique se sont combattues depuis le début de cette crise. On l’a encore vu cette semaine avec la publication par le professeur Didier Raoult d’une vidéo, 10 minutes avant le discours d’Édouard Philippe à l’Assemblée, et dans laquelle le médecin écarte la possibilité d’une seconde vague de contamination alors que tout le plan du gouvernement repose sur cette crainte…

J’ai vu cette vidéo. C’est sûr que vous dormez mieux après puisque Didier Raoult nous dit que, dans un mois, on est sorti de tout ça… J’ai signé la pétition initiée entre autres par Philippe Douste-Blazy soutenant qu’il ne fallait pas d’office écarter les traitements non homologués, disons. Je ne suis ni scientifique ni médecin, mais j’estime que l’expression des scientifiques ne doit pas être écartée d’emblée d’où qu’elle vienne. J’ai d’ailleurs apprécié qu’Emmanuel Macron ait rendu visite au professeur Raoult et pas seulement aux tenants de l’orthodoxie médicale. Il faut laisser les médecins choisir les traitements en fonction des moyens et des paramètres à leur disposition. Ce que je ne comprends pas, c’est que pendant deux mois, on a dit aux Français atteints par la maladie : « Vous ne faites rien, vous rentrez chez vous, vous prenez du doliprane et vous nous rappelez dans deux semaines si ça va plus mal. » Comment est-ce possible d’interdire aux médecins de tenter de soigner les patients ? La démarche de soin du professeur Raoult me paraît une démarche normale dans sa conception. Je ne suis pas compétent pour me prononcer sur le traitement.

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La parole des médecins vaut-elle plus que celle des politiques ?

La crise a surexposé médiatiquement médecins et chercheurs qui bénéficient légitimement de l’admiration de tous. Il faut éviter les polémiques entre scientifiques sur les plateaux et le pouvoir politique ne doit pas se retrancher derrière ces débats pour ne pas décider.

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Édouard Philippe a justement expliqué que son discours a varié sur les masques parce que les scientifiques eux-mêmes ont varié sur la nécessité des masques. Qu’avez-vous pensé de son intervention devant l’Assemblée nationale ?

J’ai beaucoup d’estime pour lui et je n’oublie pas qu’avant d’être macroniste, nous avons bien travaillé ensemble à l’UMP. Une estime que je crois réciproque. Cela dit, je suis un peu réservé sur sa communication. Il a commencé par une conférence de presse de 2 h 30 pour dire qu’il ne savait pas grand-chose et qu’il nous le dirait plus tard, cinq jours après l’allocution du président de la République, comme s’il y avait une concurrence entre eux dans la prise de parole.

Sur le fond de sa déclaration à l’Assemblée nationale, il entre dans le concret mais j’ai trois reproches. Quand on veut mobiliser une opinion publique confinée, il faut tracer un chemin d’espoir. Français confiné n’a pas d’oreilles, ai-je envie de dire pour détourner une expression connue (ventre affamé n’a pas d’oreilles, NDLR). Là, on a le sentiment que son seul message, c’est d’inquiéter pour que les Français respectent les consignes. Le deuxième reproche, c’est qu’on a l’impression que rien n’avance. Je n’ai pas compris où nous en étions des masques et des tests. On n’en sait pas plus. Sur la réouverture des écoles, c’est très aléatoire. Et puis, son annonce précède la consultation des maires et des partenaires sociaux. La logique du système, c’est de faire l’inverse ! D’abord la consultation des élus locaux et des partenaires sociaux, puis les annonces. À moins que le Premier ministre ne veuille réserver au Sénat le vrai discours abouti puisque nous le recevons lundi prochain… Sa communication est curieuse ; elle est dans l’inversion de la discussion.

Qu’aurait pu être un « chemin d’espoir » dans le contexte actuel ?

Bien sûr, il fallait dire aux Français de rester prudents, mais le Premier ministre aurait pu souligner que leurs efforts commencent à payer avec la baisse des entrées en réanimation, des hospitalisations. Il aurait pu mettre en avant que la recherche avance, que telle molécule utilisée à l’AP-HP a permis d’éviter à 50 % des cas graves de passer en réa. Des propos qui donnent le sentiment que ce confinement, inédit dans notre histoire, porte ses fruits. Parce que sincèrement, les Français ont l’impression que le déconfinement, ce n’est pas mieux.

Ce n’est pas très respectueux des libertés mais la sanction, pour un certain nombre de gens, est hélas la seule chose qui fonctionne.

Si vous aviez été au pouvoir, auriez-vous mis en œuvre les attestations de déplacements dérogatoires ?

Franchement, oui. Les Gaulois sont rarement autodisciplinés. Évidemment que c’est pénible. Déjà, on a la peur du virus, il faut ensuite penser aux contrôles de police dès qu’on met un pied dehors… Ce n’est pas très respectueux des libertés, mais la sanction, pour un certain nombre de gens, est hélas la seule chose qui fonctionne. On parle maintenant de mettre des amendes à des personnes qui ne portent pas de masque… C’est sûr que ce n’est pas facile, mais si ça permet de limiter les infractions. Je ne dis pas que c’est satisfaisant.

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Mais cette infantilisation des Français n’alimente-t-elle pas un cercle vicieux : « Je vous mets des amendes parce que vous êtes des enfants, et parce que vous êtes des enfants, vous n’écoutez pas les recommandations »…

L’ancien inspecteur général que je suis ne cesse de dire depuis 15 ans que nous ne formons pas des citoyens. On fait de la formation professionnelle, on transmet de la culture générale mais, à l’évidence, nous ne savons pas former des citoyens. Dans mon enfance, on appelait ça la morale, puis l’instruction civique, puis l’éducation civique. Nous n’avons pas réussi l’éducation citoyenne. On l’a vu dans de précédentes crises comme celles des Gilets jaunes. Il faut cesser d’aborder l’éducation sous forme de chiffres à mettre dans des cases : tant d’heures de français, tant d’heures de mathématiques… On n’a pas seulement besoin d’individus qui n’ont de compte à rendre qu’à eux-mêmes mais de citoyens responsables qui se sentent appartenir à la Nation, à une histoire commune, à un destin. Quand on formera des citoyens, on n’aura plus besoin d’attestation de déplacements.

Selon vous, la liberté individuelle va-t-elle continuer à refluer après cet épisode d’état d’urgence sanitaire ? On a vu que les dispositions de l’état d’urgence terroriste sont entrées finalement dans le droit commun…

Pour lasécurité des Français, j’ai voté les mesures antiterroristes sur le renforcement du renseignement, les perquisitions, etc. Les applications de tracking m’inspirent un sentiment partagé. Si le tracking est volontaire, je ne m’y opposerai pas et, à titre personnel, je suis susceptible de télécharger l’appli du gouvernement, mais à condition de garanties sur les données personnelles pour éviter de donner naissance à un Big Brother médical.

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Lorsqu’on sera sorti de la période de crise, à ce moment-là, il faudra relisser les textes pour faire disparaître ce qui n’est plus nécessaire et rétablir alors le primat de la liberté. Je reconnais que c’est compliqué.

Avez-vous le sentiment que l’Europe s’est montrée à la hauteur de la crise ?

À part la BCE qui a globalement réagi avec une certaine vigueur dans le bon sens, où sont les acteurs politiques et les acteurs tout court de la solution européenne ? Quand on voit comment les pays européens ont traité l’Italie… Chacun a décidé ou pas de fermer les frontières, de restreindre les exportations de produits médicaux, de sa politique sanitaire. L’Europe n’est apparue que lorsque les banques nationales ont demandé à la BCE d’intervenir. J’ai entendu Mme Von der Leyen évoquer des paramètres de sortie de crise, mais aucun État membre n’a repris ses paramètres, pas même le sien (l’Allemagne, NDLR) ! Chacun vit sa vie. J’étais aux côtés de Philippe Séguin lors de la campagne référendaire pour le non à Maastricht, je ne suis donc pas très surpris du caractère fantomatique du commissaire européen à la crise dont personne n’a d’ailleurs jamais entendu parler.

Oui, Philippe Séguin avait combattu le rôle de la BCE, or c’est la seule à avoir été active à vous entendre…

Oui ! (sourire) À l’issue de cette crise, il faudra là aussi revoir le fonctionnement de l’Union européenne.

Philippe Séguin, parlons-en puisque vous l’avez si bien connu. Était-il un homme à bien gérer les affaires par beau temps ou un homme qui se déployait dans les tempêtes ?

Séguin avait du mal avec le beau temps. Mais dès qu’il y avait de l’orage, il me disait : « Roger, on va balayer tout ce qu’il y a sur la table. » Et il prenait des mesures sans être sanglé par des prérequis. Il était réactif dans les périodes de crise. D’abord, il commençait par hurler (rires). Puis, il s’asseyait. Il me regardait en disant : « Bon, on sort de là comment ? » Il a eu des crises politiques à affronter à l’Assemblée nationale quand il a accordé des droits à l’opposition, réduit les sessions à une seule, et gérer la majorité lors de la dissolution de 1997, sans compter la campagne présidentielle de 1995 très difficile pour lui.

Quand Emmanuel Macron a reconnu beaucoup de lourdeurs administratives, de contraintes logistiques, ça revient à reconnaître qu’il n’a pas osé renverser la table. On n’a rien pu faire en France sans les trois coups de tampon et les quatre signatures nécessaires du chef et du sous-chef… Beaucoup de temps perdu. Séguin aurait dit : « Je me fous de vos histoires de codes, je veux des résultats maintenant sinon c’est votre tête qui tombe. » Je l’ai entendu dire ça. Les types étaient tétanisés. Je ne dis pas qu’il était facile…

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Les nations sont inquiètes.

À droite, voyez-vous dans le paysage actuel des hommes ou des femmes de la trempe de Philippe Séguin ?

Comme Séguin, non. Certains diront tant mieux… (sourires). Philippe Séguin était le produit de l’histoire. Sa vie a été forgée par le décès de son père, combattant pendant la Seconde Guerre mondiale. Puis, il y a eu l’arrachement à la Tunisie. Bref, tout ce qui modelait son esprit libre, le fait qu’il était un excellent orateur. Aujourd’hui, par définition, personne ne peut être le produit de cette histoire révolue.

Toutefois, Valérie Pécresse a démontré des qualités de femme forte lors de la grève des universités, avec le soutien de Nicolas Sarkozy, ainsi qu’à la tête de la région aujourd’hui. François Baroin a des qualités d’homme d’État lui aussi. Christian Jacob est un leader capable de fédérer des personnalités, mais il n’a pas d’ambition pour 2022. Mais des Pasqua, Séguin ou Sanguinetti, l’époque n’en produit plus.

Mais cette crise sanitaire est suffisamment exceptionnelle pour révéler des hommes et des femmes, non ?

Ce sera bientôt la période. Les gens veulent bien suivre un bon gestionnaire, mais c’est trop froid. Les nations sont inquiètes. Les peuples se replient. Ils se posent des questions sur leur identité. Qu’est-ce que la France par rapport à l’Europe ? Quel visage aura-t-elle dans dix ans ?

Et Xavier Bertrand, vous n’en avez pas parlé ?

J’aurais pu le citer parce qu’il a cette fibre sociale et nationale. Je pense qu’à droite, on a pas mal de gens, mais il faut quand même les faire sortir d’eux-mêmes. Pas simplement pour un rassemblement de la droite, mais du pays. Les Français vont se montrer de plus en plus exigeants. Ils ont élu François Hollande pour éviter de reconduire Nicolas Sarkozy. Puis, ils ont voté Macron, non parce qu’ils en voulaient, mais parce que Fillon était pris dans une crise judiciaire. Il faut que la prochaine fois, le président soit un choix d’adhésion comme ce fut le cas pour Nicolas Sarkozy en 2007 et non un choix par défaut.

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Êtes-vous favorable à un nouvel acte de décentralisation ?

Oui et non. Je suis un défenseur de l’État dans toutes ses fonctions régaliennes, inutile d’en parler. En revanche, un État obèse, inefficace, ça n’a pas de sens et la crise a démontré ses limites. Autant je ne supporte pas la contestation des forces de police qui sont au service de la sécurité de tous, autant un État dont on attend tout, ça ne fonctionne pas. En France, la décentralisation s’est faite presque à contrecœur : l’État a délégué des compétences mais a gardé la main sur bien des aspects. Quand un maire décide du port obligatoire dans l’espace public, le préfet dit niet. Au nom de quoi ? Ça va ! Un peu plus d’autonomie financière au profit des collectivités locales plutôt que de toiser tout le monde de la même manière. Je ne suis pas certain que la haute administration ne va pas reprendre la main à la fin de cette crise. Il y avait bien un projet de loi de décentralisation dit « 3D » mais il a disparu de l’ordre du jour. En tout cas, il est urgent de réduire les structures. Pensez qu’en Île-de-France, on compte 5 strates administratives à qui l’on demande de coopérer ou de se contrôler. À mon sens, une réforme de la décentralisation doit conduire à plus de pouvoirs, plus de libertés, plus de protection mais, à côté, doit être restauré un État fort sur ses domaines essentiels : justice, police, défense, souveraineté nationale.

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Qui doit acheter les masques ? L’État ou les collectivités locales ?

Je conçois que l’État passe un marché pour acheter des masques, mais c’est aux communes de les distribuer. Or, où sont les masques de l’État ? Pendant ce temps, Intermarché et Leclerc annoncent qu’ils vont en vendre des dizaines de millions. L’État a fourni prioritairement les personnels de santé. Mais les autres ? Où sont-ils ? C’est ici qu’on a besoin d’une décentralisation du quotidien.

Mettez-vous à la place des gens : on leur répète depuis des années que la mondialisation pourvoit au mieux à leurs besoins. Et le jour où survient la crise, il n’y a pas de masque. La mondialisation est nécessaire, je ne le conteste pas, mais la dépendance aux grands pays étrangers pour des choses aussi essentielles que les équipements médicaux, les médicaments, l’alimentation pose un énorme problème de souveraineté. Après, qu’on fasse du commerce sur tout le reste, pas de problème.

Après cette crise, ce n’est pas évident qu’on cherche des dirigeants qui ne soient que des bons gestionnaires. Je pense que les gens vont chercher des personnes qui par leur regard et leur charisme leur inspireront confiance.

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Source: lepoint.fr

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