Manuel Carcassonne, directeur de la maison d’édition Stock, filiale d’Hachette, nous annonçait vendredi avoir acquis pour la France les droits d’ « Apropos of Nothing », le récit exhaustif de la vie personnelle et professionnelle du réalisateur. « Un texte formidable », nous déclarait-il, ajoutant que les Mémoires de Woody Allen seraient publiées sur notre territoire le 29 avril sous le titre « Soit dit en passant. » Mais entre-temps, aux Etats-Unis, la maison Grand Central Publishing, elle aussi filiale d’Hachette, qui devait publier le texte sur le territoire américain, s’est ravisée devant la fronde des employés et la colère de Ronan Farrow, le fils de Woody Allen et de Mia Farrow. Figure de proue du mouvement #metoo, ce dernier a révélé l’affaire Weinstein dans les colonnes du New Yorker et publié chez Grand Central Publishing le livre « Catch and Kill », dans lequel il relate l’enquête qui a mené aux accusations de harcèlement et d’agression sexuelle dont a fait l’objet le producteur. Reprochant notamment à son éditeur de n’avoir pas contacté sa sœur Dylan (qui continue à accuser son père adoptif d’abus sexuels, malgré le fait que la justice a innocenté le réalisateur, dans deux Etats différents), il avait annoncé qu’il refusait de partager la même maison d’édition que Woody Allen et qu’il allait donc la quitter. Ce revirement éditorial outre-Atlantique change-t-il quelque chose en France ? Manuel Carcassonne nous répond.
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Le Point : Comment avez-vous réagi à la décision de la maison d’édition américaine d’annuler cette publication ?
Manuel Carcassonne : Je n’ai pas à commenter la décision d’un confrère et ami qui dirige un groupe d’édition américain et a prouvé plus d’une fois son talent et son courage. La situation américaine n’est pas la nôtre. Woody Allen est un grand artiste, un cinéaste, un écrivain, et son humour juif new-yorkais se lit encore à chaque ligne de cette autobiographie, dans l’autodérision, la modestie, et l’art de travestir le tragique en comédie. Y compris à ses dépens. Il est triste que cette décision ait été prise, triste pour la liberté d’expression, mais parfaitement compréhensible dans le contexte américain.
Dans ces conditions, allez-vous pouvoir maintenir cette publication française ?
Je ne sais pas si je pourrais maintenir la publication, mais je ferai tout pour. Nous devons récupérer les droits qui viennent d’être rendus à l’auteur. Et surtout, soyons francs, c’est l’auteur qui décidera seul. Tout ce que je puis dire, c’est mon plaisir de lecture, la réussite de ces mémoires d’un œil sur notre siècle.
Pensez-vous qu’il faille la maintenir ? D’aucuns parlent d’un mouvement de fond qui serait dangereux pour la liberté d’expression.
On ne doit pas tout mélanger, ni même amalgamer, au risque de perdre notre bon sens: la boussole qui doit guider nos choix. La France n’a pas été le lieu des querelles familiales entre Woody Allen et son ex-femme Mia Farrow, ni avec Ronan Farrow. Le public français décidera, comme il a décidé en allant voir le dernier film de Woody Allen, qui n’a pas pu sortir aux États-Unis. Publier, c’est s’attacher avec respect à ce que chacun puisse s’exprimer, dans les limites de la loi, que le talent puisse être défendu, que la notion d’auteur soit soutenue. Mon ami et ancien patron Jean-Claude Fasquelle disait: « il faut savoir mourir sur un texte. » J’espère ne pas avoir à en arriver là, mais je lui donne entièrement raison. Quel que soit l’esprit du temps, il faut lui résister.
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