La Tribune de Genève ne fait pas dans la nuance : sans mettre le conditionnel, elle annonce en une mercredi que « Juan Carlos cachait 100 millions à Genève ». Sur deux pages, le quotidien genevois raconte qu’il s’agit d’un « cadeau » du roi Abdallah d’Arabie saoudite. Le problème, c’est que l’on ne comprend pas très bien le motif de ce généreux virement. En effet, à la même époque, l’Espagne décroche au nez et à la barbe des Français un très juteux contrat pour construire une ligne de train à grande vitesse entre Médine et La Mecque pour 6 milliards d’euros. Or le versement aurait dû s’effectuer dans l’autre sens. Ce sont plutôt les entreprises espagnoles qui auraient dû verser un pot-de-vin aux Saoudiens pour les remercier de leur choix.
C’est peut-être cette incongruité qui explique que la justice genevoise – qui collabore avec les magistrats espagnols – n’a pas « mis en prévention » Juan Carlos Ier. Il est vrai que le souverain, roi d’Espagne de novembre 1975 à juin 2014, bénéficiait en 2008 d’une immunité. L’enquête ouverte dans la cité de Calvin par Yves Bertossa, premier procureur, responsable des affaires complexes, pour « soupçon de blanchiment d’argent aggravé » vise la banque Mirabaud, qui a accueilli l’argent sans trop se poser de questions, et trois personnes. D’une part, un avocat genevois et un dirigeant de la société Rhône Gestion, considérés comme les hommes de confiance du roi sur les bords du lac Léman.
Une fondation domiciliée au Panama
D’autre part, la princesse Corinna zu Sayn-Wittgenstein, d’origine danoise, présentée comme l’ancienne maîtresse de Juan Carlos. En 2008, le roi a dissimulé son pactole derrière la fondation Lucum, domiciliée au Panama, dont il était l’unique bénéficiaire. « Pendant plusieurs années, il a retiré de l’argent sur ce compte, puis, en 2012, la majeure partie de la somme restante, soit quelque 65 millions d’euros, a été donnée à l’ancienne maîtresse devenue «amie de cœur» », raconte La Tribune de Genève. Prudente, Corinna zu Sayn-Wittgenstein a aussitôt placé ce « don » dans la filiale d’une autre banque suisse aux Bahamas.
Lire aussi Espagne : un musée expose une sculpture polémique du roi Juan Carlos
En 2012, Juan Carlos Ier avait provoqué un scandale en participant à un safari à l’éléphant au Botswana, en compagnie de Corinna zu Sayn-Wittgenstein, et en posant fièrement devant son tableau de chasse. Le souverain espagnol, jusqu’alors très populaire, avait vu sa cote brutalement s’effondrer en Espagne. À ce moment-là, la banque Mirabeau commence à trouver une odeur désagréable à l’argent caché du roi, et lui demande poliment de choisir une autre « crémerie ». Le quotidien suisse, qui n’épargne rien à Juan Carlos, révèle que ce dernier aurait également versé un million « à une résidente genevoise qui aurait également été une de ses anciennes maîtresses ».
Déjà Alphonse XIII en 1931
À 82 ans, l’ancien souverain ne risque vraisemblablement pas grand-chose. D’autant que l’Arabie saoudite a déjà fait savoir qu’il ne s’agissait que d’un cadeau de la part du roi Abdallah, réputé pour sa générosité. Pour preuve, c’est le ministère saoudien des Finances lui-même qui a versé les 100 millions de dollars à la fondation Lucum. En revanche, l’image de la couronne espagnole, déjà dégradée, ne risque pas de sortir grandie de cette affaire. Pour mémoire, en 2008, l’Espagne subissait une très grave crise financière, le chômage grimpant en flèche. À aucun moment, le roi n’a pensé verser ce pactole au trésor public de son pays.
En 1931, Alphonse XIII, le grand-père de Juan Carlos, avait quitté l’Espagne après la victoire des républicains. Il s’était alors installé près de Lausanne, transférant ses avoirs en Suisse. Depuis, la famille royale espagnole a sans doute conservé un excellent souvenir de la gestion de fortune des banquiers suisses.
Lire des articles en Français lepoint.fr
Комментариев нет:
Отправить комментарий