Depuis quelques minutes, maître Antonin Lévy, l’avocat de François Fillon, et le procureur financier se toisent. Ils se sourient. Ils sont courtois. Mais se cherchent et se chamaillent. Le second s’étonne que « l’ancien ministre des Affaires sociales (2002-2004), le prévenu François Fillon, ne se soit pas préoccupé des droits sociaux attachés aux contrats de travail de ses collaborateurs ».
En CDI comme collaboratrice parlementaire pendant plusieurs décennies, Penelope Fillon n’a effectivement jamais demandé à son employeur, son mari, de pouvoir prendre un jour de congé payé. Elle ne s’est pas arrêtée non plus pendant ses congés maternité. Le vice-procureur pense tenir là un argument de choix pour démontrer que son emploi était fictif. L’avocat de François Fillon, maître Lévy, prend sa grosse voix. Il s’adresse directement à l’accusation : « Eh bien, voilà : avec la formulation de cette question, nous avons au moins un éclairage sur les orientations du Parquet financier. » Le sous-entendu est clair : en soulignant les anciennes fonctions ministérielles de François Fillon, on veut emmener le tribunal sur le terrain politique. Maître Lévy en est sûr : l’accusation veut d’abord juger un ex-Premier ministre, et non un justiciable comme les autres. Façon de préparer ce qui viendra immanquablement, mais un peu plus tard : le procès du procès.
Lire aussi Affaire Fillon : l’heure du procès, trois ans après le Penelopegate
Cour de récré
Lunettes sur le front, madame la présidente n’entend pas transformer sa salle d’audience en cour de récré. Elle jette un regard sans ambiguïté aux deux hommes en robe noire : les deux grosses voix doivent baisser d’un ton. Pas question que son procès tourne au combat de coqs. C’est le troisième jour du procès Fillon, et jusque-là, il n’y avait que des hommes pour jouer la partie. La présidente, Nathalie Gavarino, a d’abord écouté les arguments de maître Antonin Lévy, gréviste d’un jour, pour reporter de 48 heures l’ouverture de son procès. Puis, mercredi 26 février, elle l’a à nouveau entendu défendre sa QPC, question prioritaire de constitutionnalité. Elle a ensuite donné la parole à maître Cornut-Gentille, l’avocat de Penelope Fillon, pour défendre son point de droit pendant que maître Jean Veil jouait les sages du barreau. La cour a aussi beaucoup écouté les deux vice-procureurs financiers, Aurélien Létocart et Bruno Nataf, tandis que sur le banc, l’avocat de la partie civile, maître Yves Claisse, comptait les points. Bref, il n’y avait jusque-là que des hommes dans ce procès. Rien de très paritaire, pas vraiment dans l’air du temps.
Lire aussi Le procès Fillon « victime » de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron
Ce jeudi 27 février, c’est la présidente qui parle. Elle déroule la « carrière » de Penelope Fillon (les guillemets sont de rigueur puisque c’est justement l’objet du procès : déterminer si oui ou non cet emploi était fictif). Et petit à petit, l’ambiance très masculine qui planait sur le déroulement de ce procès se dissipe : Penelope Fillon est appelée à la barre et la présidente entame un long dialogue avec la prévenue. Madame la présidente n’est pas tendre. Elle veut comprendre pourquoi tout se mélange dans ce dossier : la vie privée, la politique, Paris, Matignon, la Sarthe. Comment un tout jeune couple décide, au tout début des années 1980, que François Fillon ferait de la politique. Était-elle aidée à la maison après la naissance des enfants ? Pourquoi ne s’est-elle jamais intéressée aux montants de ses rémunérations ?
Madame la présidente Gavarino s’étonne des « amnésies » de la prévenue qui a oublié beaucoup de choses : « Madame, une première expérience professionnelle, les premiers salaires, ça compte, ça marque dans une vie, non ? Vous ne vous en souvenez pas ? » Cela se voit, madame la présidente respecte la « timidité », évidente et non feinte, de Penelope Fillon. Mais elle ne se contentera pas de ses réponses trop vagues. Pas question que ce trait de personnalité devienne un artifice de défense. Elle ne considère pas Penelope Fillon comme « une petite chose » dépassée par les événements. C’est cette attitude – sans une once d’agressivité – qui, justement, déstabilise la prévenue. Lorsque celle-ci n’a pas les réponses aux questions posées et notamment sur les salaires, elle n’a qu’une réponse : « c’est mon mari », « c’est lui qui s’en occupait », « c’est François qui avait décidé qu’il fallait faire comme cela ». Déclarations troublantes à force d’être répétées, comme si Penelope Fillon baignait depuis le début des années 1980 dans une ambiance patriarcale d’une lointaine époque.
Lire aussi Procès Fillon : les amateurs de Netflix doivent patienter encore un peu
Étrange compassion
Madame la présidente n’est pas du genre, donc, à exprimer « son empathie ». Elle se contente de poser des questions sans marquer sa surprise. Le procureur Aurélien Létocart, lui, n’hésite pas : « Nous ne nous réjouissons pas de vous voir ici, Madame. Nous compatissons, car je mesure la difficulté qui est la vôtre. Ce n’est pas évident. » Étrange remarque pour un magistrat qui représente le ministère public. Étrange introduction protectrice. Son collègue Bruno Nataf fait de même. Il lance même un surréaliste « Madame, nous avons mal pour nous »… avant de creuser dans les trous qui maillent le déroulement de carrière de Penelope Fillon : « Avez-vous, Madame Fillon, un CV ? » C’est son avocat, maître Cornut-Gentille, qui se lève et répond pour elle : « C’est un entretien d’embauche ? » Penelope Fillon est difficilement audible. Maître Jean Veil tente un bon mot : « C’est comme Johnny Hallyday, il faut parler dans le micro. » Les hommes ont repris leur grosse voix et leurs bons mots, et Penelope Fillon ressemble de plus en plus à une figurante.
Lire des articles en Français lepoint.fr
Комментариев нет:
Отправить комментарий