Ce fut l’un de ses derniers combats. Et comme tous ceux que Bernard Debré a menés, il a fait trembler les murs de l’institution médicale. En 2018, le brûlot qu’il publie avec son ami de toujours, le pneumologue Philippe Even, plonge dans l’embarras des dizaines de milliers de médecins. Dans Dépression, antidépresseur : le guide, l’ancien urologue, retraité de la politique, ressortait sa sulfateuse afin d’accuser pêle-mêle l’industrie pharmaceutique de recycler sans cesse les mêmes molécules, à l’efficacité discutable, pour les vendre dix fois plus cher, et les médecins de prescrire à tour de bras des antidépresseurs inutiles dans 80 % des cas. « Nous avons le devoir d’alerter ! » Il est mort à l’âge de 75 ans, a-t-on appris dimanche 13 septembre.
Quelques années plus tôt, son Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux (2012) avait tellement bousculé ses confrères qu’il lui avait valu une condamnation par le Conseil de l’Ordre à un an d’interdiction d’exercice pour « non-confraternité ». Après des mois de polémiques, de tribunes et de débats enflammés, la sanction avait finalement été commuée en blâme… Et de nombreux médicaments déremboursés. « La forme est brutale, mais sur le fond il a raison », chuchotait-on alors dans les couloirs du ministère de la Santé. Les Français ne restent-ils pas, aujourd’hui encore, les plus gros consommateurs de médicaments au monde, un désastre de santé publique ?
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Héritage gaulliste
Et la santé publique, Bernard Debré l’avait comme chevillée au corps. Né avec, pourrait-on dire, en même temps que la politique, dans cette famille au nom illustre dont il fallait assumer le poids historique. Robert Debré, le grand-père, révolutionna la pédiatrie moderne et fonda l’Unicef. Michel, le père, longtemps Premier ministre du général de Gaulle, rédigea la constitution de la Ve République et fonda l’ENA. Ses quatre fils – Vincent, François, puis les jumeaux, Bernard et Jean-Louis, dont l’un deviendra président de l’Assemblée nationale, puis du Conseil constitutionnel – grandissent imprégnés de rigueur gaullienne, sous les ors de la République, interrompant leurs repas dans les cuisines de Matignon pour venir saluer les éminents personnages défilant au salon.
Ils ne sont encore que leurs prénoms… Jean-Louis, élève moyen, s’oriente vers le droit. Bernard choisit la médecine – la voie royale, celle du grand-père, et collectionne les succès. Devenu un urologue réputé, il enseigne, publie, devient chef de service à l’hôpital Cochin, participe à la mise au point de la thérapie génique. À deux reprises, François Mitterrand est opéré dans son service, appuyant sa notoriété. Et deux fois par an, Bernard Debré entraîne son équipe en mission humanitaire, opérant bénévolement en Côte d’Ivoire, en Mauritanie, en Afghanistan, au Pakistan… Élu pour la première fois député en 1986, il y siège aux côtés de son père (député de la Réunion, qui lui a légué l’Indre-et-Loire), et de son jumeau Jean-Louis (député de l’Eure). Un pied à l’Assemblée, l’autre à Cochin, le cœur à Amboise (fief familial, dont il devient maire)… Bernard Debré jette des ponts entre les mondes. Et quand l’héritage gaulliste se fracture, alors que son frère rejoint la chiraquie, lui construit son aura de réformateur du système de santé… Et en 1995, il choisit Balladur. Deux chemins différents, pour incarner le même héritage.
« French Doctor » de droite
François Mitterrand le réclame au gouvernement : il sera ministre de la Coopération, sillonnant l’Afrique francophone et opérant les chefs d’État. Et dix ans plus tard, se lancera dans la course aux législatives à Paris, dissident de l’UMP, dans le but proclamé d’« en finir avec le système Chirac. » Il est élu – il écrase même son adversaire. Et le reste pendant 13 ans. Et l’hyperactif reprend ses croisades, pour le contrôle des médicaments, le dépistage du cancer, contre les stupéfiants, entre deux voyages à l’East Hospital de Shanghai, où il opère une fois par mois. Ses rapports sur le système de santé sont aussi commentés que ses portraits au vitriol des mandarins de la politique, dont il excelle, dans ses livres, à caricaturer les excès. « Esprit libre », agitateur d’idées, intellectuel engagé… Le « French Doctor » de droite, qui fustigeait, dans un livre paru en 1997 (L’Illusion humanitaire), les compromissions politiques du « charity-business »des autres « French Doctors » (ceux de gauche !), aura partagé avec eux, parfois les mêmes idéaux – de justice et d’humanité –, et les mêmes paradoxes : mandarin conspuant les mandarinats, héritier cherchant à construire sa voie… Et qui, comme eux, aura réussi.
Source: lepoint.fr
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