Sévèrement critiqué par la rue, à 85 ans, le président explique à Paris Match qu’il n’entend pas rendre son tablier. Le meilleur allier du Hezbollah se prépare à la venue d’Emmanuel Macron, le 1er septembre.
Paris-Match : Regrettez-vous d'être aujourd'hui le Président du Liban?
Michel Aoun : Absolument pas! Certains parmi mes partisans regrettent que je sois le président du Liban pendant cette période difficile et délicate et d'autres pensent, au contraire, que ma présence au commandement du pays est une chance pour le Liban parce qu'ils ont confiance en moi et en ma volonté d'aller jusqu'au bout pour sauver mon pays. Et puis il y'a ceux qui, sous le coup de la colère et de la peine, crient leur révolte et demandent ma démission. Une chose est sûre je n'ai jamais fui devant la responsabilité. J'étais ainsi en tant que militaire jusqu'à devenir chef de l'armée. J'étais ainsi dans mon engagement politique…Je ne changerai pas aujourd'hui dans ce palais présidentiel de Baabda.
Comment comptez-vous pouvoir mettre fin à la corruption?
A travers l'application des lois. Une première étape fondamentale dans la lutte contre la corruption a commencé avec l'approbation d'un «forensic audit» (audit juricomptable) qui sera effectué à la Banque Centrale du Liban. Cela est important pour découvrir s'il y'a eu des violations affectant la situation financière de l’État. L'enquête inclura toutes les institutions officielles afin de déterminer l'éventuelle responsabilité de chacune de manière transparente. Tous ceux ayant commis des actes répréhensibles en profitant de l’État et de ses institutions rendront des comptes devant la justice. Telle est la règle d’or : déterminer les responsabilités pour pouvoir imposer des sanctions.
Des pressions internationales, conditionnant une aide devenue urgente, sont-elles selon vous une remise en cause de la souveraineté du pays?
Je ne vois tout cet intérêt ni comme une pression encore moins comme une ingérence dans les affaires libanaises. Ces pays veulent nous aider. Ils nous avisent et nous conseillent. La décision finale appartient au Liban et à son peuple. Aujourd'hui il est essentiel que nous parvenions à réaliser l'ensemble des réformes auxquelles nous nous sommes engagés avec la communauté internationale lors la conférence CEDRE. Et nous espérons que l’aide internationale équivaudra aux besoins du Liban afin de permettre de relancer le pays.
«Pas d’aides sans réformes : on a bien reçu le message»
Le Liban peut-il se passer de l'aide de la France, de l'Union européenne, des États-Unis et plus largement du FMI et de la banque mondiale?
Le Liban ne peut ni ne veut s'en passer puisque c'est lui qui a demandé le soutien de tous ces partenaires que vous citez. Leur aide est précieuse et essentielle tout autant que les réformes nécessaires au pays. Le 9 août lors de la conférence internationale d'aide au Liban qui s'est tenue à l'initiative du Président Macron j'ai insisté pour que la gestion des fonds de contribution soit mise sous l'égide des Nations Unis. A la fois par souci de transparence mais aussi pour assurer une bonne exécution.
Cette aide pourrait-elle selon vous être fournie sans les réformes?
La position de la France, tout comme celle des autres pays, est claire : pas d'aide sans réformes. On a bien reçu le message et on est bien d'accord là-dessus. Cependant cela nécessite la formation d'un nouveau gouvernement. Nous sommes une République parlementaire. C'est donc le parlement qui donne sa confiance au nouveau gouvernement et c'est lui également qui agrée les réformes. Ce chemin légal complique le processus, car certains partis politiques persistent à mettre des embûches devant toute réforme. Pour ma part, je continuerai à lutter pour les mettre à exécution.
Lorsqu'il a annoncé la démission de son gouvernement, l'ex-président du Conseil des ministres, Hassan Diab a dit que l'État avait les mains liées face au système de corruption. Est-ce vrai ?
Le Liban souffre d'une corruption endémique. Il y'a une classe politique qui protège les corrupteurs et cache leurs pratiques, car elle en profite de façon directe. Il est très difficile de casser cette alliance solide et bien enracinée car elle dépasse les clivages politiques pour se rejoindre sur les intérêts financiers. Oui c'est difficile d'en venir à bout mais je suis déterminé à continuer la lutte pour disloquer ce cartel mafieux. J'ai tenté de le faire durant les quatre années de mon mandat, mais j'avoue ne pas avoir réussi car beaucoup occupent des postes importants dans l'État.
S'il s'avérait que des membres de votre famille aient participé à de telles pratiques comme certains le prétendent, seriez-vous prêt à les faire arrêter?
Aucun membre de ma famille n'est impliqué dans la corruption. Au cas où il y aurait des suspicions du contraire, j'agirais envers eux comme avec les autres : je les enverrais devant l'autorité d'investigation judiciaire afin qu'ils soient sanctionnés si leur implication est avérée.
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Que répondez-vous aux victimes de l'explosion qui déplorent l'absence de l'État?
Je comprends parfaitement leurs souffrances face à cette tragédie qui a touché le pays en profondeur. Impossible de ne pas partager cette peine indescriptible. Je peux sans doute la soulager quelque peu de deux façons : d'une part en veillant à ce que l'enquête se fasse en toute transparence pour désigner les coupables, quel que soit leur grade ou niveau de responsabilité. Ils seront jugés et je me suis engagé là-dessus lors du Conseil des ministres avant la démission du gouvernement ; d'autre part en faisant tous les efforts nécessaires pour solliciter l'aide des pays amis afin d'indemniser les victimes. Beyrouth et son port seront reconstruits et je serai attentif à ce qu'on le fasse sans nuire à leurs vestiges culturels.
A combien estimez-vous le montant nécessaire pour remettre le pays sur les rails?
Il est difficile aujourd'hui d'établir une estimation précise des pertes. Plusieurs quartiers de Beyrouth ont subi des dommages considérables. Plus de 6000 bâtiments ont été touchés dont 600 à caractère patrimonial. Il va falloir rénover l'ensemble des tissus urbain des quartiers les plus touchés, tout en préservant leur identité. Certains sont entièrement démolis, d'autres partiellement et l'urgence est aujourd'hui d'assurer des logements aux plus démunis. Il faut d'ailleurs faire vite car l'hiver arrive et il ne fera qu'accentuer la souffrance de citoyens sans abri qui survivent déjà dans des conditions extrêmement difficiles. Une première estimation des experts évoque plus de 14 milliards de dollars. Auxquels s'ajoute une première évaluation concernant la reconstruction du port de Beyrouth, avoisinant déjà les 25 milliards de dollars, sans prendre en compte le manque à gagner dû à l'arrêt de l'activité portuaire.
Vous avez promis que toute la lumière serait faite sur cette tragédie du 4 août, l'enquête avance-t-elle?
La vérité sera révélée aux Libanais mais aussi à l'opinion publique arabe et internationale car Beyrouth n'est pas seulement la capitale du Liban, Beyrouth est aimée pour elle-même et de tous. Je voudrais qu'elle aboutisse le plus vite possible. Le drame a eu lieu il y a deux semaines et, jusqu'à ce jour, vingt-cinq personnes responsables du port de façon directe ou indirecte ont été mises en examen. Le plus important reste de déterminer comment ce nitrate d'ammonium est arrivé au port et pourquoi il y est resté depuis 2013 jusqu'à l'explosion. Les points d'interrogation sont nombreux et aucune hypothèse ne doit être négligée. J'y veille personnellement, je suis les détails heure par heure et je n'aurai de cesse que de connaitre la vérité.
Le 1er septembre marque le 100e anniversaire de la proclamation du Grand Liban. De quel avenir rêvez-vous pour ce pays?
J'ai consacré ma vie à servir mon pays et je continuerai à le faire jusqu'au bout. Mon rêve est de nettoyer le Liban de la corruption qui le mine jusqu'aux os et d'instituer un Etat laïque. Mon rêve est aussi d'établir une nouvelle alliance autour du « Vivre ensemble », avec toutes les forces vives. Et si nous ne pouvons pas être unis, alors trouvons un système de cohabitation et arrêtons de creuser des tranchées qui ne nous protègeront pas les uns des autres, ni de nous-mêmes. Cependant, pour consolider les assises du pays, il faudrait que la communauté internationale nous aide à trouver une solution à la présence massive de réfugiés. Cela a démarré il y a quarante-cinq ans avec l'arrivée des Palestiniens, suivie depuis 2O11 d'une vague de plus d'un million et demi de déplacés syriens. Aujourd'hui, malgré tous les appels lancés dans les tribunes internationales pour le retour des déplacés syriens dans leur pays sécurisé en grande majorité, ils sont toujours au Liban. Nous les avons aidés et c'est normal mais c'était et c'est bien au-delà de nos moyens. Ce n'est pas normal ni moral que la communauté internationale fasse peser sur un si petit pays une charge aussi déstabilisante!
Beyrouth et son port seront reconstruits
Pourquoi le Hezbollahs, partie prenante dans la guerre en Syrie, aux côtés de Bachar El Assad, ne négocie-t-il pas avec lui ce retour?
Le Hezbollah n'est pas le seul à avoir participé à cette guerre. Beaucoup de nations y ont pris part. Aujourd'hui, ils sont tous devenus parties prenantes du conflit, de sa résolution et du retour des réfugiés.
Vous êtes en contact régulier avec le président Macron et le président Trump depuis cette tragédie. La France et les États-Unis parlent-ils d'une même voix?
Nous entendons la même volonté de venir en aide au Liban.
Dans une récente interview au «Corriere de la Serra», vous écartez la piste de l'explosion d'un dépôt d'arme du Hezbollah, mais ne voulez pas exclure celle d'un missile israélien. Sur quelles preuves vous basez-vous?
J'ai eu des preuves qu'il n'y a pas d'entrepôts de munitions pour le Hezbollah dans le port de Beyrouth, c'est pourquoi j'ai écarté cette piste. En ce qui concerne l'hypothèse du missile israélien, beaucoup de citoyens affirment avoir vu des avions survoler le port avant l'explosion et certains évoquent un missile qui serait tombé sur l'entrepôt. Je n'écarte donc pas cette possibilité et j'ai demandé au Président Macron ainsi qu'à d'autres pays de nous fournir les photos satellites pouvant éclairer notre enquête.
La rue reproche souvent à ce parti, majoritaire, de ne pas faire du Liban sa priorité, compte-tenu de sa proximité avec l'Iran, rendu exsangue par les sanctions internationales et de son rôle militaire croissant dans la région. Qu'en pensez-vous?
Si sa priorité allait à L'Iran plutôt qu'au Liban, il ne participerait pas à la vie politique libanaise en faisant partie d'un bloc parlementaire ni en ayant des ministres au gouvernement depuis des années. Le Hezbollah suit et applique la loi libanaise. Il n'utilise ses armes qu'en tant que résistance pour défendre le pays contre Israël.
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Faux, il a envoyé des gros bras contrer des manifestations d'opposant, et utilise ses armes en Syrie pour soutenir le régime de Bachar El Assad comme le lui demande l'Iran…
Non, le Hezbollah n'a pas attaqué les manifestants pacifiques à Beyrouth, aucun rapport de police ne l'indique. Quant à sa participation à la guerre en Syrie, j’ai déjà répondu à cette question en vous précisant qu'il n'est pas le seul.
Pour ces mêmes raisons, ne serait-il pas plus sain de voir les milices armées du Hezbollah rejoindre l'armée ? Qu'est-ce-qui selon vous plaide pour l'inverse?
L'existence du Hezbollah est liée à l'occupation israélienne des villages et terres du sud Liban. La résistance contre l’occupation est un droit naturel des peuples selon les conventions internationales. Lorsque la terre libanaise sera libérée, les habitants des villages dont est issu le Hezbollah reprendront une vie normale, et pourront rejoindre l’armée ou tout autre travail. Ce que je voudrais souligner ici, c’est que depuis la cessation des opérations militaires dans le sud en 2006, suite de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, aucune action militaire n’a eu lieu à partir des territoires libanais libérés contre la partie opposée, alors qu’Israël n’arrête pas ses violations aériennes et terrestres.
En l'absence d'un gouvernement, comment les tractations avec la Banque du Liban et le FMI quant à une éventuelle réforme du système bancaire peut-elle se faire?
Le processus de négociation avec le Fonds monétaire international a bien avancé, puis s’est interrompu avec la démission du gouvernement. Il y a plus d’une vision pour réformer le secteur bancaire au Liban et dès que le nouveau gouvernement sera formé, la communication entre la Banque centrale et le Fonds monétaire international pourra reprendre là où elle s’est arrêtée. Les divergences de points de vue peuvent être résolues en choisissant l'approche la plus adéquate à notre système bancaire.
Général, vous avez traversé toutes les guerres du Liban. Jamais Beyrouth n'a été si dévasté. Le pays connaît-il aujourd'hui son temps le plus dur?
Ce qui s’est passé est un grand désastre. Mais Beyrouth a déjà traversé de semblables difficultés pour diverses raisons. A chaque fois, les Libanais ont réussi à éliminer les traces de la guerre et à reconstruire leur capitale. Je suis sûr qu'ils le feront à nouveau. Oui, on se relèvera avec l'aide de tous les Libanais, le soutien des pays frères et amis, en particulier celui de la France d'Emmanuel Macron.
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Source: ParisMatch.com
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