понедельник, 22 июня 2020 г.

« Nous avons eu les émotions d’un concert et la sérénité d’une répétition »

« Il y a un petit côté pionnier. » C’est par ces mots que Gilles Delabarre, directeur délégué du projet Démos à la Philharmonie de Paris, souhaitait la bienvenue aux tout premiers spectateurs – avec une jauge limitée à 500 personnes sur 2 400 places – de la salle de spectacle parisienne depuis le 9 mars.

Prière était de se présenter en avance ce dimanche après-midi, aux traditionnels contrôles des sacs s’étant ajouté une distribution de masques pour les oublieux et de gel hydroalcoolique pour tous. S’ensuit un parcours fléché, dans le respect de la distanciation sociale, à l’inverse de certaines scènes observées dimanche, pour retrouver l’écrin de la salle Pierre-Boulez. À l’intérieur, masque obligatoire pour tout le monde et pendant toute la durée de la représentation, les ouvreurs rappellent régulièrement la consigne aux rares indisciplinés. Les couples et groupes d’amis sont autorisés à s’asseoir à côté, mais il est demandé de laisser « une place de chaque côté et de n’avoir personne ni devant ni derrière », une partie de Tetris qui précipite certains dans des abîmes de réflexion et parsème la salle de siège réservé à « Monsieur X ».

Monsieur X est attendu à sa place.

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« Est-ce que vous pouvez essayer de faire quelque chose ? »

La distancancition sociale… en scène. © Anne-Laure Poisson

Sur scène, une trentaine de pupitres espacés les uns des autres entourent un piano à queue. En ce jour de Fête de la musique un peu particulier, une vingtaine d’enfants issus de neuf orchestres Démos (voir encadré) présentent « une répétition publique commentée » aux côtés de Khatia Buniatishvili, marraine du projet, suivi d’un court récital de la pianiste, son premier en public depuis le début du confinement.

Le projet Démos

Le projet Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) est un dispositif chapeauté par la Philharmonie de Paris qui s’adresse à des enfants de 7 à 12 ans habitant dans des quartiers relevant de la politique de la ville (QPV) ou dans des zones de revitalisation rurale (ZRR) éloignées des lieux de pratique. L’enfant est invité à s’engager pendant trois ans, il se voit confier un instrument de musique pour des cours hebdomadaires avec une quinzaine d’enfants du même territoire et de la même classe d’instruments, ces groupes se retrouvent une fois toutes les six semaines en tutti, de manière à constituer un orchestre d’environ 105 musiciens. Il s’agit d’« un apprentissage de la musique classique à des enfants ne disposant pas, pour des raisons économiques, sociales et culturelles, d’un accès facile à cette pratique dans les institutions existantes. » Démos allie une dimension musicale sous l’encadrement de musiciens professionnels mais aussi sociétale puisqu’en plus de l’engagement fort de l’enfant et de sa famille, chaque orchestre est associé à des structures locales et bénéficie de l’accompagnement de travailleurs sociaux. Leur financement est réparti entre l’État et les partenaires institutionnels (26 %), les partenaires locaux (42 %) et des mécènes (32 %) pour un budget total de 265 000 € par orchestre. En janvier 2020, 38 orchestres Démos regroupaient près de 4 000 enfants avec un objectif de 60 orchestres et près de 6 000 enfants accueillis en France à l’horizon 2022.

Une affiche qui s’est bâtie dans l’urgence, raconte Gilles Delebarre : « Lundi dernier [le 15 juin, NDLR], on a eu la confirmation que nous pouvions organiser un concert. Laurent Bayle, le directeur général de la Philharmonie, nous a alors demandé : Est-ce que vous pouvez essayer de faire quelque chose  ? » Les équipes s’activent : « Ça a été très rapide, on a contacté des élèves proches et motivés », explique Élisabeth Coxall, responsable pédagogique du projet Démos et qui a encadré sur scène la répétition publique des jeunes musiciens. « On en a contactés une quarantaine avec un bon niveau, parce qu’on savait qu’on allait avoir peu de répétitions. » Ils étaient finalement une vingtaine dimanche, encadrés par une dizaine de professeurs, à s’être rendus disponibles pour jouer après seulement un petit week-end de répétitions. « Je les ai trouvés très engagés, comme s’ils comprenaient, intuitivement mais y compris pour les plus jeunes, la place de la musique dans la société », abonde Gilles Delebarre.

Un défi pour les apprentis musiciens

Autour du Canon de Pachelbel, une proposition de Khatia Buniatishvili, Élisabeth Coxall avait donc imaginé un « objet sonore » en deux temps : une mise en bouche ludique et sonore pour le public suivie d’un aperçu des coulisses d’un moment de travail. « On voulait expliquer ce qu’on avait fait pendant les répétitions, pour que les gens vivent un moment de répétition. On ne s’est pas contenté de montrer le côté artistique, l’objet fini, mais on a pu montrer les étapes pédagogiques. On a vécu les émotions d’un concert et la sérénité d’une répétition. » Un moment studieux sous les yeux du ministre de la Culture, Franck Riester, venu saluer le symbole du retour du public dans cette institution parisienne le jour de la Fête de la musique : « C’est extraordinaire, enfin le retour du public, c’est quand même une étape ! Il faut se souvenir de ce que la musique apporte dans nos vies. »

Même sentiment même si les mots ne sont pas les mêmes chez Lina, « dix ans la semaine prochaine », apprentie violoniste et son alter ego de 13 ans à l’alto Jessica, qui terminent toutes deux leur deuxième année à l’Orchestre Démos de Paris. « C’était cool de retrouver le public. » Les deux jeunes filles, qui donnaient déjà leur deuxième concert à la Philharmonie après celui de juin 2019, confient avoir travaillé « bof bof » leur instrument pendant le confinement, mais elles ont sauté sur l’occasion de cette répétition en public et ont assidûment déchiffré les partitions chez elles avant les répétitions du week-end. « C’était joli, il y avait nos parents », s’enthousiasme la benjamine, « c’était bien, j’avais envie d’être sur scène », se réjouit plus discrètement l’aînée. Mais les musiciennes en herbe s’animent surtout au moment d’évoquer la rencontre et le travail avec Khatia Buniatishvili : « Elle est super ! Gentille et sympa ! » Pour cette première avec un soliste, il « fallait tout le temps faire piano… Jouer avec elle, c’était un défi ! »

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Douceur et énergie

Et de fait, au-delà du beau symbole de la jeunesse pour le retour du public, la star était bien la pianiste Khatia Buniatishvili. En ce jour le plus long, aussi celui de son anniversaire (joli clin d’œil), elle commence, royale, un récital de quatre morceaux – additionné d’une charmante Javanaise en bonus –, qui bascule dans l’émotion au fur et à mesure de celle de la pianiste, manifestement bouleversée, jusqu’à un « Clair de Lune » suspendu et vibrant. « J’avais choisi Debussy pour la douceur, mais il y a eu aussi tellement d’énergie, après trois mois sans représentation… J’ai ressenti beaucoup de choses émotionnellement, je savais que ça me ferait quelque chose, mais je ne pensais pas que je serais aussi émue, confie la musicienne à la sortie de la scène. Nous sommes dans une période unique et c’était une expérience définitivement unique, je ne pensais pas que je laisserai couler mes émotions à ce point-là. »

Très à l’aise avec les enfants qui l’entourent, engagée auprès des orchestres Démos depuis 2017, elle s’anime en parlant de ce « projet qui tient une grande place dans [son] cœur parce qu’il est à la fois culturel et social ». « Ce n’est pas que de la culture, mais ça améliore aussi les droits de l’homme. Dans le pays des philosophes des Lumières et de Victor Hugo, c’est aussi un projet sociétal et c’est pour ça que j’aime la France », explique encore la native de Géorgie naturalisée française en 2017, « Démos, c’est la musique classique qui appartient à tout le monde et c’est un projet social, c’est très important pour moi. Je suis à fond pour Démos ! »

« On en sortira grandi »

Ce Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale naissait en 2010 en Île-de-France avant d’essaimer dans toute la France, avec comme piliers la communication, le partage en groupe et la pratique de la musique live. Drôle d’année et de dixième anniversaire, mais Gilles Delabarre ne s’en trouble pas : « J’ai été un peu étonné, mais il n’y a pas eu d’abandon, il n’y a pratiquement pas eu d’enfants qui soient sortis des radars même si le niveau de relation a été plus ou moins étroit. » Pendant le confinement ou pour fêter la fin de l’année, de nombreuses initiatives ont émergé localement : ressources pédagogiques en ligne pour que les enfants puissent continuer à pratiquer ou patchwork de vidéos dans un orchestre… « Les initiatives et modes d’approches sont très inventifs. On ne dit pas aux gens ce qu’il faut faire, ils s’influencent entre eux. On en sortira grandi. »

Les masques sont tombés sur les promesses de se revoir bientôt dès l’été ou peut-être à la rentrée, la tension redescend chez tous les musiciens, amateurs comme professionnel, adultes et enfants alors que la pluie s’invite dans cette fin d’après-midi dominicale. Il flotte dans l’air comme un parfum du monde d’avant, plein de vibrations musicales et de la douceur rassurante de jolies retrouvailles.

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Source: lepoint.fr

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