понедельник, 15 июня 2020 г.

«  Ce n’est pas Colbert le concepteur du Code noir qu’on honore »

La mort de Georges Floyd est un événement au statut nouveau. Mondialisé, il s’est aussi nationalement diffracté. Selon les pays, il provoque des ondes de choc diverses, qui révèlent pour chacun ses conflits de mémoires, ses cicatrices prêtes à se rouvrir. En France, le point de crispation s’est porté sur Colbert, attaqué depuis plusieurs années parce qu’il fut le concepteur du Code noir, nom donné à partir de 1685 aux textes juridiques concernant les colonies françaises où l’esclavage était toléré. Les manifestations contre une police et une France supposées racistes, les menaces qui pèsent sur la statue de Colbert installée devant le Palais-Bourbon ont incité Emmanuel Macron à prendre position dimanche soir : « La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. » L’œuvre de Colbert a été examinée par les historiens dans toute sa diversité et complexité. Veut-on à présent la reconfiner en la réduisant à un seul acte ? Derrière cette querelle, c’est aussi la relation à notre passé en général et à l’interprétation de ce passé qui se joue. Nous avons interrogé Daniel Dessert (*), l’historien spécialiste de Colbert, qui n’a pas ménagé ses critiques envers le ministre à tout faire de Louis XIV.

Le Point : Que pensez-vous, en tant qu’historien spécialiste de Colbert et qui n’a pas épargné ses critiques à son égard, du procès fait actuellement à ce personnage ?

Daniel Dessert : C’est inepte. On ne refait pas ainsi l’histoire 300 ans après la mort d’un homme. On essaie de connaître son œuvre, mais on ne plaque pas sa vision du monde sur des gens du XVIIe siècle, comme si ceux-ci avaient la même vision que la nôtre. Rappelons que le XVIIe siècle est un univers encore esclavagiste ; en Méditerranée, les pays européens rachetaient des esclaves aux Barbaresques d’Afrique du Nord, ils capturaient des Turcs pour les mettre sur des galères… Il subsistait même dans certaines régions de France des traces de servitude. La France était un pays pétri de droit romain, hérité d’une Rome pour qui l’esclave était une réalité normale et une clé de voûte du système.

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Mais les attaques visent aussi l’hommage qui a été rendu plus tard, au XIXe siècle, à Colbert.

Dans la saga que s’est constituée la France, Colbert est l’un des personnages devenus au cours des siècles des totems intouchables. On peut remettre en cause un totem sans remettre en cause tout le personnage. Or, les critiques actuelles des antiesclavagistes ne font aucune distinction. Quel a été le type d’hommage rendu par la monarchie de Louis-Philippe – la statue présente devant le Palais-Bourbon date des années 1830 – puis la République ? Ce n’est pas le concepteur du Code noir qu’on honore. Si on a mis la statue devant cet édifice, c’est qu’on célèbre le grand commis de l’État, législateur, homme des règles, de la réglementation, de la normalisation d’un royaume, soi-disant intègre – j’ai montré dans divers ouvrages qu’il n’en était rien sur ce dernier point –, dans lequel la République s’est reconnue. Aujourd’hui, on trouve une statue de Colbert devant l’École navale, à Lanvéoc, et les Eaux et Forêts vouent également un culte à celui qui a créé leur office et fait rédiger le Code forestier… Il n’est pas certain que ceux qui veulent déboulonner sa statue adhèrent au projet républicain.

Quelle a été la part exacte de Colbert dans la conception du Code noir ?

S’il n’en a pas été le promulgateur – en 1685, il était mort et ce fut son fils, Seignelay, qui joua ce rôle –, il en a été le concepteur et a fait travailler ses équipes sur la normalisation des colonies qui venait compléter celle de la France. Sait-on ce que spécifie l’article 1 de ce Code ? « L’expulsion de tous les Juifs des colonies françaises. » Je ne sache pas qu’on ait taxé Colbert d’antisémitisme. Pas encore du moins. L’article 2 vise à éduquer les esclaves dans la religion catholique et romaine. L’année de sa promulgation est la même que celle de la révocation de l’édit de Nantes, Louis XIV vise à unifier le royaume sur le plan religieux. L’idée de baptiser ces esclaves est d’ailleurs en contradiction avec la chosification de ces « biens meubles » que dénoncent les antiesclavagistes. Nous ne sommes pas là pour justifier le Code noir, évidemment, mais pour expliquer dans quelle politique il s’inscrit.

Quel est le reproche majeur que vous adressez à Colbert ?

Sa politique a consisté à faire croire que l’absolutisme reposait sur la puissance du roi, doublée de la puissance administrative. Or, le roi, y compris Louis XIV, n’a jamais été ce qu’il semblait être ou était censé être. Il était dans l’impuissance. On ferait mieux de lui reprocher d’avoir inventé cette technostructure encore en action aujourd’hui, où des hauts fonctionnaires friands de règles paralysent le pouvoir politique.

Depuis quand s’en prend-on au Colbert concepteur du Code noir ?

Depuis le début des années 2000. Cette contestation est liée à l’émergence de groupes identitaires. La manière dont le personnage Colbert est présenté dans les manuels scolaires a du reste évolué dans ce sens, on ne parle plus seulement du grand commis de l’État. La vision s’est complétée.

(*) Historien, auteur de nombreux livres sur le XVIIe siècle, dont Le Royaume de monsieur Colbert (Fayard, 2007) et Colbert ou le mythe de l’absolutisme (Fayard, 2019)

Source: lepoint.fr

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