четверг, 27 февраля 2020 г.

Procès Fillon : les amateurs de Netflix doivent patienter encore un peu

« Sous l’Ancien Régime, le détournement de fonds public était puni de la peine de mort par pendaison. » Cet après-midi, barbe bien taillée par-dessus sa robe noire, Monsieur le Procureur de la République est en forme. Murmures dans la salle. François Fillon sursaute un peu sur sa chaise. Pour répondre à maître Cornut-Gentille, l’avocat de Penelope Fillon, le procureur financier, Aurélien Létocart, a le sens de la formule.

Le procès Fillon vient de s’ouvrir, l’audience a commencé depuis trois petits quarts d’heure et les avocats soulèvent deux QPC, des questions prioritaires de constitutionnalité. Une façon pour la défense de se chauffer la voix. De sonder l’état d’esprit de l’accusation. Une manière surtout de répondre à deux questions avant de s’attaquer aux choses sérieuses, le fond du dossier. Première question, la prescription du délit. Est-il légal que les époux Fillon soient poursuivis pour des faits qui remontent, pour les plus récents, à 2013 ? La seconde question : le délit lui-même. La cour va-t-elle juger un détournement de fonds public par « personne dépositaire de l’autorité publique » ou non ? En tant que parlementaire, François Fillon était-il vraiment « dépositaire de l’autorité publique » ? Ou simplement « chargé d’une mission de service public ». Vastes questions…

Jacques Chirac cité

Depuis le début de l’audience, maître Cornut-Gentille prend la posture du professeur de droit et se fait plus pédagogue que jamais pour expliquer que les faits reprochés aux époux Fillon sont prescrits depuis belle lurette. Pour lui répondre, le procureur défend le travail de ses collègues du Parquet financier. « Soyons sérieux ! dit-il en substance. Ce que le tribunal s’apprête à juger est gravissime. Arrêtons de tourner autour du pot ! Et commençons, Madame la Présidente !  »

Maître Cornut-Gentille a le goût des argumentations solides. Il soulève mille et une décisions de justice antérieures pour appuyer son propos. Il appelle même à la rescousse un député (aujourd’hui macroniste, ce qui ne manque pas de sel puisque ses propos nourrissent la défense de François Fillon), rapporteur il y a quelques années d’un projet de loi qui validerait chacun de ses arguments. Il en appelle à Jacques Chirac. Ou plutôt à ses juges, puisque le point de droit qu’il soulève avait été évoqué lors du procès des emplois fictifs à la Ville de Paris. Il s’en prend enfin à l’article du Canard enchaîné, celui de février 2017, qui, en pleine campagne présidentielle, révélait que Penelope Fillon était l’assistante parlementaire de son mari, point de départ des investigations.

Tout grand procès se doit désormais d’avoir sa QPC, nous y sommes.

Au passage, il dévoile un élément de sa stratégie : la justice n’avait pas besoin de lire Le Canard enchaîné, puisque cet emploi n’avait rien de fictif. Et que rien n’avait été dissimulé depuis très longtemps : Penelope Fillon travaillait bel et bien pour son mari. L’éventuel délit (qui reste à juger, donc) est, de toute façon, bel et bien prescrit puisqu’il a débuté il y a plus de trente ans.

Le procès des époux Fillon a commencé ce mercredi 26 février.

© BENOIT PEYRUCQ / AFP

Ces arguments agacent le procureur. D’où sa sortie sur la peine de mort. C’est sa façon à lui de dire que cette QPC n’a aucun sens. D’ailleurs, dit-il, « tout grand procès se doit désormais d’avoir sa QPC, nous y sommes. » À l’écouter, c’est donc pour être dans l’air du temps que les avocats en sont passés par là. Et de demander à la présidente d’oublier cette question de droit pour qu’enfin les choses sérieuses soient traitées.

Cet après-midi, il ne sera donc pas encore question de «  l’affaire  ». Mais de droit pur. La joute des avocats et des magistrats se déroule exclusivement sur un terrain technique. Assis sur les bancs, quelques étudiants en droit savourent en souriant ce cours, prenant quelques notes sur les arrêts auxquels font référence le ministère public et la défense. L’audience du jour remet beaucoup de sérieux dans ce drôle de procès pourtant aussi prometteur qu’une bonne série de Netflix.

Une série à suspense

Le procès Fillon offre – mais il faudra encore attendre – tous les ingrédients magiques pour une «  bonne  » histoire mêlant suspense, pouvoir, argent, vengeance. Tournée et diffusée au printemps 2017, la saison 1 mettait en scène – sous les yeux du public et des électeurs – un candidat à la présidence de la République explosant en vol. Le public en redemandait. Il y avait les trahisons, les doutes du candidat, le carnage, le sang, les larmes des supporteurs, les juges et surtout l’apparition d’un jeune homme brillant dans le paysage que personne n’attendait. De quoi faire passer Baron noir pour une bonne vieille série tournée au temps de l’ORTF.

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Ce mercredi, donc, devant la 32e chambre du tribunal de Paris, tout est prêt pour la saison 2 de «  l’affaire Fillon  ». Les magistrats. Les avocats. L’ex-Premier ministre-candidat. Sa femme. À quelques mètres, les journalistes qui ont contribué (par leurs révélations et leurs enquêtes) à le faire chuter. Le casting est au complet. Il ne reste plus qu’aux scénaristes à suivre consciencieusement le procès pour écrire en direct leur «  Bible  », ce gros document d’une centaine de pages, qui incarne «  l’âme  » de la série. Et qu’importe si, depuis un petit mois, la «  série Fillon  » passe pour un programme, vraiment daté, une série de l’ancien monde. Depuis, la fuite de Carlos Ghosn dans sa valise à instrument de musique et la chute de Benjamin Griveaux (dont certains éléments du programme n’étaient franchement pas destinés à un public familial) en proie au trio infernal Pavlensky-Taddeo-Branco sont passées par là.

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Assurer une mission de service public autorise un peu de latitude pour exercer celle-ci

Cet après-midi, c’est raté : Netflix passe son tour. Le sérieux. Rien que du sérieux. De la jurisprudence. Et du droit. Maître Antonin Lévy, le conseil de François Fillon, le rappelle par ces quatre mots : «  Occupons-nous de droit.  » Il soulève à son tour «  sa  » QPC. Cette fois-ci, il s’agit de savoir si un député est «  dépositaire de l’autorité publique  » ou s’il n’assure qu’une «  mission de service public  ». La qualification du délit en sera différente et le flou n’est pas acceptable, plaide-t-il. On devine encore une partie de la stratégie de la défense. Sans doute, son idée est-elle de démontrer que, dans le second cas, la notion d’argent public n’est pas la même. Assurer une mission de service public autorise un peu de latitude pour exercer celle-ci, à condition que celle-ci soit bien exercée. Ce qui ne serait pas le cas du dépositaire de l’autorité publique…

Il faut donc clarifier tout ça, demande l’avocat de François Fillon, qui évoque au passage une mystérieuse lettre (qu’il a écrite aux enquêteurs et qui soulevait déjà ce point) qui aurait disparu, puis «  mystérieusement réapparu  ».

Le second procureur ne joue pas la partie plus diplomatiquement que son collègue. Chez lui, pas de peine de mort. Mais une pirouette : «  Nous étions bien naïfs !  » Il s’indigne de «  la stratégie de victimisation  » des avocats. Démonte l’argument de la lettre en deux phrases. Dans sa réponse, il rappelle les propos d’un président de groupe RPR au Sénat un peu oublié – sourires dans la salle – qui, il y a bien longtemps, définissait le rôle du parlementaire comme celui d’un élu «  dépositaire de l’ordre public  ».

Madame la présidente du tribunal lève la séance. Elle a 24 heures pour se faire une idée. Le droit, rien que le droit. C’est raté. Les scénaristes de Netflix ne pourront pas utiliser cette première journée du procès Fillon.

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