пятница, 28 февраля 2020 г.

De « L’Homme invisible » à « Invisible Man » : 5 visions du mythe

Dis-moi comment tu te comportes quand personne ne peut te voir, je te dirai qui tu es… Fantasme humain par excellence, dont Platon avait lui-même tiré le mythe de l’anneau de Gygès, l’invisibilité a servi à la fiction de baromètre de moralité pour les héros ou anti-héros jouissant de ce pouvoir extraordinaire. Le concept a connu un big bang culturel avec la publication, en 1897, du roman de science-fiction L’Homme invisible, signé H. G. Wells, dont le cinéma va tirer une première adaptation en 1933, en pleine décennie rongée par l’angoisse de la crise et d’un conflit mondial. Comparé à Dracula ou Frankenstein, autres créatures fantastiques et anxiogènes nées environ au même moment à l’écran, l’homme invisible n’a finalement pas suscité tant de versions, probablement en raison de la difficulté à accrocher le public avec un personnage indétectable. La légende compte tout de même quelques œuvres remarquées, au cinéma ou à la télévision, qui ont alternativement fait du fantomatique personnage une victime héroïque ou un authentique psychopathe. L’actuel Invisible Man, de Leigh Whannell, en salle depuis le 26 février, exploite ainsi le mythe comme véhicule idéal d’une nouvelle parabole sur le harcèlement sexuel. Un propos, hélas, un peu trop lourdement visible dans un film qui, par ailleurs, ne manque pas de qualités : à vous de vérifier… de visu ! Sélection masculine, en attendant une prochaine rétro féminine, c’est promis.

L’Homme invisible, de James Whale (1933)

Le scientifique Jack Griffin (Claude Rains) a percé le mystère de l’invisibilité, mais après avoir testé la formule sur lui, il est incapable d’inverser le processus. Enroulant son visage (invisible) sous des bandages, les yeux (invisibles aussi) cachés par de grosses lunettes noires de protection, il se terre dans la chambre d’une auberge du Sussex pour trouver une solution à sa malédiction. Son état le pousse peu à peu au bord de la folie et, révélant aux villageois son invisibilité, il s’échappe dans la nature et sombre dans le meurtre. Réalisé par James Whale entre ses inoubliables Frankenstein (1931) et La Fiancée de Frankenstein (1935), L’Homme invisible est la première adaptation à l’écran du classique de H. G. Wells. Gros succès public et critique en son temps, le film va sidérer les foules d’avant-guerre autant par la modernité de ses effets spéciaux que par sa dimension tragique, à travers l’impressionnante performance de l’acteur Claude Rains. Fidèle au roman de Wells, qui choisissait d’aborder l’invisibilité par le biais de la déchéance morale, ce chef-d’œuvre du studio Universal est à ranger aux côtés des autres monstres lancés dans les années 1930 par la major hollywoodienne – Le Fantôme de l’opéra (1925), Dracula (1931), Frankenstein (1931), La Momie (1932) ou encore le loup-garou du Monstre de Londres (1935). Dès ce coup d’essai à l’écran, donc, notre homme invisible est un fieffé salaud de mâle toxique, mais, évidemment, pas question ici d’une perspective féministe appuyée. La résonance de ce récit d’un homme basculant dans le vertige de la toute-puissance serait peut-être plutôt à trouver du côté de la montée en puissance du nazisme, contemporaine de la sortie du film.

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L’Homme invisible (1975) et Le Nouvel Homme invisible (1976) – séries télé

Je vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître ! La télé en ce temps-là n’était que chaînes publiques et c’est sur la première d’entre elles, TF1, que moult petits geeks savourèrent ces deux friandises de courte durée. Séries américaines, L’Homme invisible puis Le Nouvel Homme invisible furent diffusées consécutivement dans La Une est à vous, émission mythique des samedis après-midi, où défilaient plusieurs feuilletons qui allaient devenir cultes pour des millions de jeunes spectateurs (Amicalement vôtre, Cosmos 1999, Les Mystères de l’Ouest…). Le cinéma s’est alors depuis longtemps désintéressé de l’anti-héros créé par H. G. Wells, hormis une poignée de séries Z et une comédie familiale produite par Disney, Pas vu pas pris (1972, avec… Kurt Russell !), passée comme les autres inaperçue et restée depuis aux oubliettes. La télévision va au contraire plus régulièrement récupérer le concept d’invisibilité dans les années 1970 à 2000, mais, plus particulièrement aujourd’hui, seules les éphémères L’Homme invisible et Le Nouvel Homme invisible s’accrochent encore (un peu) à nos neurones.

Daniel Westin (David McCallum), aux côtés de son épouse le docteur Kate Westin (Melinda O. Fee) dans la série « L’Homme invisible » (1975).

Dans la première, David McCallum (ex-Ilya Kuryakin des Agents très spéciaux, futur Don Ducky Mallard de NCIS) incarne le scientifique Daniel Westin, qui découvre accidentellement le principe d’invisibilité en menant des recherches sur la téléportation. Rendu invisible de façon permanente, il est dans un premier temps traqué par le Pentagone avant de finalement passer un marché avec le gouvernement. Créée par Harve Bennett (scénariste attitré des films Star Trek II, III, IV et V), cette série pas bien brillante a malgré tout marqué les esprits par les effets spéciaux à l’époque impressionnants de réalisme, quand Westin doit enfiler une perruque, un masque et des gants spécialement conçus par un ami chirurgien plastique et qui imitent la peau humaine à la perfection. Oui, nous sommes d’accord : c’est totalement farfelu. Mais efficace et, quarante-cinq ans plus tard, les scènes de déshabillage et rhabillage de l’invisible Westin, ainsi que le générique de la série, font toujours leur petit effet !

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Trop chère et pas assez populaire pour la chaîne NBC, la série sera annulée au bout de 13 épisodes pour être remplacée, l’année suivante par… une autre série sur un homme invisible, baptisée Gemini Man en V.O. Créée par le même Harve Bennett sur une mode plus économique, cette fiction bis imagine un nouveau héros rendu invisible par les radiations d’un satellite russe tombé à la mer. Grâce à une montre à quartz révolutionnaire contrôlant son ADN, il peut redevenir visible à volonté (ou presque). Effet garanti dans les cours d’école : pratiquement simultanée avec le boom des ventes de montres digitales, la diffusion de ce Nouvel Homme Invisible avec sa tocante magique va stimuler sans cesse l’imagination des gamins qui, à l’heure de la récré, feront comme si leur propre montre à cristaux liquides avait les mêmes pouvoirs. Incarné par l’acteur Ben Murphy, ce nouveau héros dénommé Sam Casey va curieusement bien plus marquer les esprits en Europe (notamment en France et en Grande-Bretagne) qu’aux États-Unis, où la série sera annulée au bout d’une poignée d’épisodes.

Les Aventures d’un homme invisible, de John Carpenter (1992)

Pour se remettre d’une gueule de bois avant une réunion à l’institut de recherche Magnascopics, le courtier Nick Halloway (Chevy Chase) fait une sieste impromptue dans la pièce voisine d’un laboratoire d’expérimentations où un incident entraîne une réaction en chaîne. Tout le monde déserte l’immeuble… sauf Nick, en plein roupillon. L’immeuble bombardé de radiations devient invisible et Nick avec lui. La CIA entend bien l’étudier sous toutes les coutures à des fins militaires mais Halloway prend la tangente. Sorti entre Terminator 2 et Jurassic Park, Les Aventures d’un homme invisible marqua une étape décisive dans l’histoire des images de synthèse au cinéma. Les génies d’ILM (la société d’effets spéciaux créée par George Lucas) recoururent à des techniques numériques révolutionnaires à l’époque, qui annoncèrent les futurs dinosaures virtuels de Spielberg. Même si plusieurs éléments du film rendent hommage au classique de James Whale, le parcours moral du héros est, ici, radicalement opposé.

Nick Halloway commence le récit comme un mâle arrogant et coureur de jupons. Mais ses mésaventures l’amèneront à s’humaniser davantage et, conventions des années pré- #MeToo obligent, trouver l’amour dans les bras d’une jolie productrice de documentaires (Daryl Hannah) qu’il aura préalablement séduite et emballée en une nuit. Très agréable à regarder, mais un brin convenu dans son intrigue, ce nouvel avatar du mythe va dérouter le public américain, qui refuse de foncer les yeux fermés à un film marquant la collaboration contre nature entre un maître de la terreur (Carpenter) à une star de la comédie (Chase). Le ton incertain du récit, où l’aventure et l’humour semblent curieusement mal assortis, va coûter cher au cinéaste. Également mal aimée de la critique, cette œuvre atypique dans le CV de Big John reste aujourd’hui, hélas, bien invisible sur les chaînes de télé.

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Hollow Man, l’homme sans ombre, de Paul Verhoeven (2000)

Sacré Verhoeven ! Après les scandales déclenchés par le trop hot Showgirls (1995) et le trop gore Starship Troopers (1997), le Hollandais violent (comme le surnomment affectueusement ses fans) avait annoncé vouloir revenir à un cinéma plus consensuel en acceptant ce blockbuster à près de 100 millions de dollars, au script ne cherchant pas midi à quatorze heures. À l’arrivée, même si Hollow Man reste effectivement moins choquant que les œuvres susnommées, le cinéaste se débrouille pour caser ici et là certaines de ses obsessions récurrentes – le voyeurisme, la fascination de l’homme pour le mal et le sexe, la tentation de l’hyperpuissance… et, bien entendu, caser ici et là quelques plans gore croustillants. Sans doute le film le plus proche, dans son canevas, du modèle de 1933, Hollow Man suit le délitement moral progressif de Sebastian Caine, brillant mais arrogant scientifique déterminé à rentrer dans les livres d’histoire en trouvant le secret d’un sérum d’invisibilité. Avec son équipe, il y parvient… Mais échoue à redevenir visible à l’issue de la période de test. La persistance de son état va bientôt lui monter à la tête. Déjà sur le terrain de la masculinité toxique, vingt ans avant le Invisible Man de Leigh Whannell, Hollow Man vaut principalement pour deux raisons : l’interprétation ébouriffante de Kevin Bacon, parfait en Caine aussi séduisant qu’abject. Et des effets numériques à couper le souffle, une fois de plus signés ILM. Démarrant sur les chapeaux de roues, le film ne tient, et c’est fort dommage, pas la distance en raison d’un script de plus en plus bas de plafond à mesure que l’histoire progresse vers un suspense de serial killer vu et revu mille fois. Le comble pour un récit d’invisibilité.

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Invisible Man de Leigh Whannell (2020).

Changement d’ère. La vague #MeToo, dont nous n’avons clairement pas fini d’observer l’onde de choc dans le processus créatif hollywoodien, colore désormais presque systématiquement d’une dimension sociopolitique les scripts du cinéma de genre. Après tout pourquoi pas dans le cadre d’une nouvelle réinvention de la légende de l’homme invisible, canevas idéal pour parler de la nocivité d’un certain comportement masculin sans entrave. Officiellement basé, lui aussi, sur le roman de H. G. Wells, Invisible Man a beau proposer une relecture nouvelle, adaptée à l’air du temps post-Weinstein, il n’en boucle pas moins la boucle avec le film inaugural de 1933 puisque son héros est un pur malfaisant à 100 %. Scénariste de classiques modernes de l’épouvante, tels que Saw et Insidious, réalisateur du formidable thriller futuriste Upgrade (2018), Leigh Whannell donne le ton de son Invisible Man dès la première scène : une femme (Elisabeth Moss) fuit en pleine nuit la villa high tech de son petit ami violent, manipulateur et possessif. Riche et brillant scientifique, ce dernier simule par la suite un suicide pour mieux persécuter sa proie, grâce à un costume d’invisibilité usant d’une technologie révolutionnaire.

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Réellement effrayant par moments, exploitant brillamment notre parano avec des plans nous questionnant sans cesse sur la présence – ou non – du monstre dans le champs, Invisible Man pêche cependant par une longueur excessive (2 heures) et, comme de plus en plus souvent désormais, un point de vue féministe assené à coups de marteau bien lourdauds, au détriment de toute finesse ou crédibilité scénaristique. Adrian Griffin (joué par Oliver Jackson-Cohen), l’ex-petit ami maléfique de Cécilia (Elisabeth Moss), est d’entrée présenté, sans nuance ni évolution, comme une ordure, à des années-lumière du diable séduisant campé par Kevin Bacon chez Verhoeven. Il harcèle, menace, orchestre une grossière manipulation, puis tue à répétition, mais sans substance aucune, ni passé ni réelle caractérisation de ce personnage qui ne reste finalement qu’une ombre. Dans le registre voisin du harcèlement physique et moral d’une femme célibataire par une force invisible, le terrifiant L’Emprise de Sydney J. Furie (1982) s’avérait finalement plus intéressant et ambigu. Actrice notoirement engagée dans des œuvres à dimension féministe et qui le revendique, la prodigieuse Elisabeth Moss (Mad Men, Handmaid’s Tale…) confirme une fois encore son talent, mais l’histoire, criblée d’ellipses trop pratiques, aurait franchement gagné à plus de rigueur. Mais on suppose que l’essentiel est sauf : on ne pourra reprocher à Invisible Man sa concordance avec l’air du temps et l’imprimatur des réseaux sociaux.

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