пятница, 28 февраля 2020 г.

César : « En France, on déconsidère la comédie »

La scène prête à rire. Nous demandons à David Honnorat et Hugo Alexandre, les ingénieux créateurs de Calmos – une newsletter et une chaîne YouTube consacrées à l’analyse des comédies françaises –, de nous citer le film du genre le plus réussi l’année passée. En 2020, le premier réflexe est de prendre son téléphone et de regarder sur Internet. « Il y en a tellement… Je vais regarder sur le site des César pour voir… En fait, ce n’est pas la meilleure idée », finit par se marrer l’un de nos experts du jour. En effet, la grand-messe du cinéma français, secouée depuis quelques semaines par d’intenses polémiques, semble peu friande de comédie. On ne parle pas des comédies douces-amères ou dramatiques. Non, la vraie bonne poilade, le rire gras et le fou rire honteux.

En 2018, l’académie, pour calmer la crise de nerfs de certains acteurs comiques (Dany Boon pour ne pas le citer), avait créé un césar du public, où était récompensé le long-métrage ayant eu le plus d’entrées. Cette année, Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ?, le film de Philippe de Chauveron, avec Christian Clavier et Chantal Lauby, aurait dû repartir avec sa statuette grâce à ses près de 7 millions d’entrées. Las, la règle a changé (l’académie élit désormais le gagnant parmi les cinq films arrivés en tête du box-office) et voici la comédie plébiscitée par le public mise en concurrence avec Les Misérables, Hors normes, Au nom de la terre, Nous vieillirons ensemble. Sans préfigurer de l’avis des membres de l’académie, ça sent la soupe à la grimace.

Hugo Alexandre et David Honnorat reviennent sur ce désamour. Fini de rire !

Le Point Pop : Existe-t-il une malédiction des comédies françaises aux César ?

David Honnorat, Hugo Alexandre

David Honnorat, Hugo Alexandre

David Honnorat et Hugo Alexandre, créateurs de Calmos.

Hugo Alexandre : Ça dépend de quelle comédie on parle. Il y a toujours eu des comédies françaises aux César, en tout cas nommées, mais pas forcément celles qui faisaient le plus d’entrées. Cependant, de grosses comédies ont eu de nombreuses nominations comme Les Visiteurs ou La vie est un long fleuve tranquille.

David Honnorat : Les comédies représentent 20 % de la production annuelle du cinéma français et elles représentent 20 % des nominations. C’est donc équilibré. Il y a eu des périodes plus fastes que d’autres en termes de répartition. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, nous vivons une période faste : Le Grand Bain, En liberté ou Guy. Certaines comédies ont même eu le césar du meilleur film comme Trois hommes et un couffin, Vénus beauté ou Le Goût des autres. Comme aux Oscars, il y a une sorte de système de carte : certains auteurs de comédie vont taper dans l’œil de l’académie et vont être régulièrement nommés. C’est le cas du duo Jaoui-Bacri.

C’est très politiquement correct de gauche…

Hugo Alexandre : C’est vrai que leur dernier long-métrage, qui était un peu plus réac [Place publique, NDLR], n’a pas eu de nominations…

David Honnorat : À l’inverse, Le Sens de la fête, par exemple, qui est selon moi une comédie de droite, a eu des nominations.

Depuis 2018, il existe une nouvelle catégorie : le césar du public, qui récompense le film ayant fait le plus d’entrées en salle. Or, cette année, la règle a été changée et l’académie doit choisir entre Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu  ? (6,7 millions d’entrées) et Les Misérables… Ça sent un peu l’entourloupe…

David Honnorat : C’est un prix stupide qui résulte d’une guerre d’ego et il renvoie, finalement, à la polémique qui touche les César cette année : des règles opaques décidées par quelques-uns. Dans sa première conception, ce prix n’avait aucune légitimité. Le film qui a le plus d’entrées est déjà récompensé : il a eu le plus d’entrées ! Cette récompense mécanique enlevait l’intérêt de cette récompense.

Hugo Alexandre : Finalement, la nouvelle formule améliore un peu le dispositif en amenant un peu de concurrence et de suspense, mais ça part quand même d’une mauvaise idée.

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Vous évoquez un suspense… On sait que Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? ne remportera pas le prix…

David Honnorat : Probablement, puisqu’il est opposé par exemple aux Misérables, qui est nommé dans d’autres catégories

Hugo Alexandre : Selon moi, c’est le nœud du problème. Comment comparer deux films qui n’ont rien à voir ? En 1999, par exemple, comment choisir entre La Vie rêvée des anges et Le Dîner de cons ? C’est pareil pour les performances d’acteurs : c’est difficile de mettre sur le même plan une performance comique et un rôle dramatique.

David Honnorat : Comme c’est une large assemblée qui vote – le collège complet –, les gagnants sont souvent les plus aimés du milieu. C’est ce qui explique que les films accumulent les prix. On vote dans toutes les catégories pour le film qu’on a aimé ou l’équipe qu’on a préférée.

Lire aussi « Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? », le film qui va nous faire du bien

Est-il normal que Christian Clavier, Pierre Richard et Gérard Jugnot n’aient pas obtenu de césar ?

Hugo Alexandre : Il faut raisonner par film. Clavier a été nommé deux fois pour Les Visiteurs (acteur et scénario). Mais pour quel autre film aurait-il pu concourir ? Il aurait pu l’avoir pour Les Bronzés, mais beaucoup sont passés à côté de la bande du Splendid à l’époque, que l’on considérait comme les nouveaux Charlots.

David Honnorat : Le problème est plus général : en France, on déconsidère la comédie. On l’a vu avec la polémique sur la volonté de la Cinémathèque d’organiser une rétrospective sur Louis de Funès. Quand on a lancé notre chaîne Youtube, on s’est étonnés de ne rien trouver sur les comédies. Notre idée a été de prendre la comédie au sérieux. L’exercice de la comédie est sans doute plus difficile que celui du drame. De plus, historiquement, le cinéma mondial s’est structuré autour du cinéma comique. La comédie française paraît encore plus déconsidérée, car elle pèse davantage sur le box-office. Pour en revenir aux César, on voit que les comédies ont vocation à obtenir beaucoup de nominations pour les meilleurs seconds rôles – notamment les acteurs qui n’ont pas l’habitude de jouer dans des comédies. À l’inverse, le syndrome Tchao Pantin bat son plein : il suffit qu’un comique interprète un rôle dramatique pour qu’on célèbre sa performance – Kad Merad a eu le césar pour Je vais bien ne t’en fais pas alors qu’il est grandiose dans Pamela Rose (rires).

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Hugo Alexandre : Il est vrai que les membres de l’académie ont une certaine réticence à récompenser des performances purement comiques comme celle de Kad Merad dans Pamela Rose. Il y a quand même des exceptions, notamment Michel Serrault qui a eu le césar du meilleur acteur pour La Cage aux folles.

David Honnorat : On remarque qu’il y a une autre catégorie où les comédies sont snobées : c’est le scénario. Alors que c’est là où presque tout se joue.

Ne faudrait-il pas tout simplement créer un césar de la meilleure comédie ?

Hugo Alexandre : Une telle catégorie aurait tendance à diluer l’importance de la récompense.

David Honnorat : Et il y aurait un problème dans la définition d’une comédie car pas mal de films sont entre les deux. Quoi qu’il arrive, Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? ne serait pas récompensé (rires).

Les comédies d’aujourd’hui sont-elles meilleures qu’avant ?

Hugo Alexandre : En tout cas, elles ne sont pas pires, comme on le prétend souvent. On sacralise les comédies des années 1970-1980, mais on a tendance à ne se souvenir que des meilleures et à oublier toutes les horreurs. En faisant des recherches pour nos vidéos, on découvre des films dont on ne parle jamais, et qui se feraient assassiner aujourd’hui. D’ailleurs, dans les années 1970, c’étaient les films des Charlots qui attiraient le plus de spectateurs. Si ces films sortaient aujourd’hui, ils recevraient les mêmes retours que Les Tuche.

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David Honnorat : Il faut partir du principe qu’on ne retient que trois ou quatre bonnes comédies par an. Le tri se fait tout seul. La différence, ce sont les grands auteurs qui semblent avoir un peu disparu. On n’a plus de réalisateur ou de scénariste qui creusent le sillon de la comédie. Par exemple Toledano et Nakache vont faire une comédie puis un drame. Michel Hazanavicius a décidé, après The Artist, de quitter la comédie alors qu’il en était l’un des meilleurs représentants. Cela crée un vide quand le réalisateur d’OSS 117 ne fait plus de comédie… De vrais bons geeks de la comédie, on n’en trouve plus. Il reste Éric Judor, qui ne pense qu’à ça !

Hugo Alexandre : J’ajoute qu’il n’y a plus d’attelage entre réalisateurs et acteurs comiques comme ce fut le cas auparavant (Oury/de Funès, Veber/Pierre Richard). Dubosc tourne beaucoup avec Onteniente, mais ce n’est peut-être pas le réalisateur qui peut faire de lui un grand acteur comique, alors qu’il en a le talent. Même si j’aime beaucoup Camping.

On remarque aussi que la jeune génération peine à percer. La bande de Philippe Lacheau, que l’on présente comme la relève, s’approche de la quarantaine…

David Honnorat : La bande à Fifi, c’est la queue de la comète Canal, où l’on se marrait à 20 heures devant la télévision. Le système qui consistait à faire des grosses productions avec des gens de la télé est à bout de souffle. La puissance de la télé s’est essoufflée. On ne peut plus prendre les mecs les plus drôles à la télé et faire 5 millions d’entrées. C’est ce que nous avions montré dans notre vidéo sur La Cité de la peur. Nous allons entrer dans un nouveau cycle. De jeunes auteurs, présents sur Internet ou ailleurs, ont du potentiel pour renouveler le genre. Il ne faut jamais oublier que la comédie populaire n’est possible qu’avec une expérience collective et des références communes. Le morcellement des audiences fait que ça n’existe plus vraiment. Mais avec Netflix et YouTube, de nouvelles références communes peuvent émerger.

Le problème des comédies françaises contemporaines n’est-il pas de toujours vouloir faire passer un message ?

Hugo Alexandre : Il y a un message dans Rabbi Jacob ou dans Les Bronzés. Mais c’était peut-être plus subtil que dans À bras ouverts

David Honnorat : La France est un pays politique, il y en a partout. Peut-être moins chez Francis Veber, qui est un horloger de la comédie. Il y a très peu de références sociologiques dans ses films. Après, dans beaucoup de comédies, même dans les années 1970 ou 1980, il y a un message. Même chez Veber ! D’ailleurs, j’ai une théorie selon laquelle Les Fugitifs est un film sur l’homoparentalité (rires).

Hugo Alexandre : Mais il est vrai qu’avec les réseaux sociaux, on interprète, voire surinterprète, dès la bande-annonce, avec une grille de lecture politique. On a l’impression qu’une comédie va forcément devoir parler de la société.

David Honnorat : Alors qu’Oury, il est sûrement parti de la cuve du chewing-gum pour faire Rabbi Jacob (rires).

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